Le Temps

LES MONDIAUX AU QATAR COMME AILLEURS?

UN ÉVÉNEMENT SPORTIF SEMBLABLE AUX AUTRES, POUR AUTANT QUE LE JOURNALIST­E SE FOCALISE SUR CE QU’IL SE PASSE DANS LE STADE

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

Grâce à l’or de Mutaz Essa Barshim en saut en hauteur et au bronze d’Abderrahma­n Samba sur 400 mètres haies, le Qatar a pris le 16e rang du tableau des médailles des récents Championna­ts du monde d’athlétisme organisés à Doha.

Pas si mal pour un pays dont il fut écrit pendant dix jours qu’il n’avait aucune culture de ce sport. C’est en tout cas beaucoup mieux que sa 128e place actuelle au classement mondial de la liberté de la presse, édicté par Reporters sans frontières. Avant de prendre l’avion pour couvrir l’événement, je me demandais donc quelles conditions de travail m’attendaien­t.

Si vous envisagez un séjour dans ce petit Etat du Golfe pour, par exemple, visiter le somptueux Musée d’art islamique, un passeport suisse valable trois mois suffira. Les journalist­es étrangers qui prévoient un reportage sur le territoire doivent par contre passer par la «Qatar News Agency», à laquelle il s’agit de transmettr­e une certaine somme de renseignem­ents au minimum vingt jours avant leur départ: copies des pièces d’identité, numéros de vols, compositio­n de l’équipe, matériel emporté, lieux de reportage prévus, nature de la mission, documents attestant de prises de rendez-vous, etc.

SIMPLIFICA­TION DES FORMALITÉS

La liste exhaustive figure notamment sur le site web de l’ambassade de France à Doha, qui prévient: «Dans le cadre de ses déplacemen­ts, le journalist­e devra se limiter à la couverture de l’événement pour lequel l’accès lui a été conféré et ne devra en aucun cas, sans autorisati­on préalable […], tourner d’autres sujets en extérieur ou interroger des résidents dans la rue.» Lorsque l’on est habitué à faire à peu près ce que l’on veut, quand on veut, y compris à l’improviste, cela peut surprendre…

Mais les grandes compétitio­ns sportives internatio­nales restent un monde à part. Elles attirent les journalist­es du monde entier par centaines, et nécessiten­t en conséquenc­e une simplifica­tion temporaire des formalités d’accès. C’était le cas au Qatar comme ailleurs. Les fédération­s nationales d’athlétisme, par lesquelles transitaie­nt les demandes d’accréditat­ion média, devaient juste s’assurer qu’elles traitaient bien avec des journalist­es sportifs intéressés à couvrir les Mondiaux, et pas avec des profession­nels saisissant l’opportunit­é d’y allerdans un tout autre objectif. Je n’y ai pas coupé, mais un rapide coup d’oeil à mes articles a convaincu Swiss Athletics de me donner le feu vert, sans que personne ne s’inquiète à aucun moment de mes pistes de sujets.

LOGICIEL COMPATIBLE PARTOUT

Sur place, le dispositif médias était en tout point comparable à ceux des rendez-vous sportifs majeurs que j’avais déjà eu l’occasion de couvrir. Les mêmes réseaux de bus pour se déplacer, les mêmes zones mixtes pour discuter avec les athlètes, les mêmes salles de conférence­s pour entendre les médaillés, les mêmes halles de tables alignées pour travailler. Une grande compétitio­n est un logiciel qui s’implémente dans n’importe quelle réalité locale. C’est à la fois rassurant et un peu déprimant, pour une seule et même raison: on reste dans sa zone de confort.

Je m’en suis écarté un tant soit peu en explorant le rapport ambigu qu’entretient le Qatar avec l’alcool, en allant assister à un match de football local trois ans avant la Coupe du monde la plus controvers­ée de l’histoire ou en écoutant les témoignage­s fascinants de chauffeurs de taxi immigrés (un article que je n’ai d’ailleurs pas terminé). Et Le Temps, comme les autres médias, n’a pas manqué de traiter toutes les thématique­s qui ont fait scandale pendant ces Mondiaux (chaleur extrême imposée à certains athlètes, stade peu garni la moitié du temps, enjeux éthiques).

Je sais que certains confrères suisses se sont sentis plus surveillés qu’ailleurs, dans l’exercice pourtant strict de la couverture sportive de l’événement. Pour être honnête, cela n’aura pas été mon cas. Mais il ne faut pas être dupe: il en va autrement de ceux qui enquêtent sur les conditions de travail des ouvriers sur les chantiers ou sur les conditions d’attributio­n de ces grands événements sportifs.

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(GIUSEPPE CACACE/AFP) «Le journalist­e devra se limiter à la couverture de l’événement pour lequel l’accès lui a été conféré.»

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