Le Temps

Le rire et au-delà: rencontre avec Patrice Leconte avant sa venue à Vevey

- PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

Patrice Leconte est l’invité d’honneur de la 5e édition du VIFFF, festival veveysan entièremen­t dédié à la comédie. Quatre de ses films y seront projetés, dont le cultissime «Les bronzés font du ski» et le césarisé «Ridicule». Rencontre dans son bureau parisien

Au mur, des photos de Groucho Marx, un portrait de Woody Allen et des affiches étrangères de ses films. Sur une table, l’intégrale des enquêtes de Maigret. Patrice Leconte reçoit en toute simplicité dans son lumineux bureau, au sommet d’un immeuble historique du VIe arrondisse­ment parisien. Cinq ans après la sortie de son dernier film, Une Heure de tranquilli­té, avec Christian Clavier en amateur de jazz contrarié, il a hâte, en février prochain, de retrouver le chemin des plateaux. Pour une adaptation de Maigret et la jeune

morte, avec Gérard Depardieu dans le rôle du commissair­e imaginé par Georges Simenon.

Mais avant cela, à bientôt 72 ans, il est, du 24 au 27 octobre, l’invité d’honneur du 5e Vevey Internatio­nal Funny Film Festival (VIFFF), jeune manifestat­ion entièremen­t dédiée à ce genre souvent dédaigné par les grands festivals qu’est la comédie. En marge d’une rencontre publique, il présentera quatre des trente longs métrages qu’il a réalisés depuis Les vécés

étaient fermés de l’intérieur, coécrit en 1976 avec Gotlib, rencontré durant les cinq années où il fut dessinateu­r au magazine Pilote.

Vous voilà hôte d’honneur d’un festival dédié à la comédie alors que depuis la fin des années 1980, vous êtes loin de ne réaliser que des comédies. N’est-ce pas parfois frustrant d’être réduit au seul statut de réalisateu­r de films drôles?

Mes premiers films sont tous des comédies, dont certaines ont eu du succès, comme Viens chez moi,

j’habite chez une copine et bien évidemment Les Bronzés puis Les

bronzés font du ski. Quand vous démarrez dans ce métier avec un certain genre de films, et surtout quand ces films fonctionne­nt, c’est normal que cela vous suive toute votre vie. Et ça ne m’encombre pas. Quand des journalist­es me disent «on oublie Les Bronzés, c’est le passé», je m’insurge: on n’oublie pas Les Bronzés, je revendique ces films dont je suis fier! Et même si, depuis, j’ai réalisé des longs métrages qui se promènent dans des directions différente­s, l’humour revient tout le temps. J’ai régulièrem­ent refait de pures comédies, comme Les Grands

Ducs ou Une Heure de tranquilli­té.

Etes-vous d’accord avec l’idée que faire rire est plus difficile que faire pleurer?

Autant on peut imaginer une émotion universell­e, autant le rire ne l’est pas. C’est une affaire très fragile. Le rire est en outre plus difficile à manipuler au cinéma qu’au théâtre où vous êtes payé tout de suite: si c’est drôle, les gens rient, et s’ils ne rient pas, vous pouvez ménager des temps, changer de rythme. Le résultat est immédiat, alors que par définition, quand vous faites un film, il n’y a pas de public. Il faut sentir que ça va être drôle. Mais comme je suis assez rieur, il m’est arrivé sur les tournages d’avoir des fous rires très sonores et d’interrompr­e des prises. C’est presque honteux, mais en même temps plutôt bon signe. Sur Les bronzés font du ski, quand on tournait la grande scène de fin chez les paysans, lorsqu’ils boivent cet alcool impossible et mangent cette tartine de gras, je me mordais l’intérieur des joues tellement je pleurais de rire.

Comment s’est passée votre intégratio­n au sein de la troupe du Splendid?

Le café-théâtre permettait facilement de rencontrer les gens. C’est comme ça que j’avais également découvert Coluche [engagé pour Les vécés étaient

fermés de l’intérieur]. Par définition, les comédiens de caféthéâtr­e n’étaient pas des vedettes. J’étais allé voir les spectacles du Splendid et on était devenus copains. Et il se trouve qu’ils avaient bien aimé mon premier film. Quand un producteur leur a proposé d’adapter leur spectacle Amour, coquillage­s et crustacés, qui deviendra Les Bronzés, ils ont alors demandé de le faire avec moi. Comme on rit des mêmes choses, ils savaient que je serais en quelque sorte le septième membre du Splendid. Mais pour tout vous dire, le producteur avait envie de leur mettre dans les pattes un réalisateu­r confirmé – Edouard Molinaro, Claude Zidi, que sais-je?… Mais ils ont été merveilleu­x et ont tenu bon. Avec moi, ils étaient sûr de faire le film en groupe, qu’il n’y aurait pas un maître d’oeuvre qui s’approprier­ait les choses. Je leur dois beaucoup.

Lorsque vous tournez «Les Bronzés», puis surtout «Les bronzés font du ski», vous sentez qu’il se passe quelque chose de spécial?

Même si les moments drôles ne sont pas sanctionné­s par des rires sur le tournage, sauf quand j’éclate de rire, je sentais, par le talent des comédiens, par ces répliques qui tuent, que ça allait marcher. Mais si les deux films ont eu un bon succès en salle, ce à quoi on ne pouvait en aucun cas s’attendre, c’est que quarante ans plus tard ils feraient encore marrer les gens. C’est inouï, j’ai l’impression qu’on a involontai­rement inventé le film inusable. L’un comme l’autre ont dû passer 16 ou 17 fois à la télévision, et avec à chaque fois des indices d’écoute de dingue.

On imagine volontiers ces tournages comme une sorte de «joyeux bordel», avec un Patrice Leconte dans le rôle d’un chef d’orchestre tentant de donner le la…

Il y avait un petit côté «joyeux bordel», comme vous dites, mais pas tant que ça. Parce que mes amis du Splendid, même s’ils sont rieurs et enthousias­tes, sont aussi très profession­nels; il y a de la rigueur, le texte est au rasoir. Ils ne sont pas sérieux, mais pas «bordélifiq­ues» pour autant. Ils savent ce qu’est un film. Mais on s’est quand même pas mal marrés… Enfin plus sur le premier que sur le deuxième. A la montagne, c’était plus compliqué à cause du froid et de la neige; le temps changeait tout le temps. Et en plus moi, j’adore la chaleur…

Diriez-vous que la publicité est une bonne école en matière de timing comique?

J’ai fait des tonnes de films publicitai­res, quelques-uns prestigieu­x pour des parfums, mais les deux tiers étaient des comédies. Et quand vous avez vingt secondes pour emporter le morceau, il ne faut pas glandouill­er. Sur une pub, vous pouvez facilement passer à côté du truc. Arriver à viser juste pour que ce soit efficace est une école de la concision. De même, durant mes cinq années de bande dessinée, je ne pouvais pas me permettre de prévoir un scénario avec des cases inutiles. J’essayais de faire au plus court. D’ailleurs, les films que j’ai faits, à deux exceptions près, font une heure et demie ou moins. Je n’ai pas la prétention d’intéresser les gens pendant deux heures.

La concision est d’ailleurs une notion qui se perd, alors que les films de Woody Allen, par exemple, sont eux aussi plutôt courts…

Monsieur Hire dure 1 heure 20, Le Mari

de la coiffeuse 1 heure 18. Le Dîner de cons, de Francis Veber, dure une heure et quart et c’est un film formidable! Pareil chez les romanciers: Simenon écrivait des bouquins formidable­s de 180 pages. Quand vous vous retrouvez avec un pavé de 500 pages, vous vous demandez quand même si l’auteur n’aurait pas pu faire plus court. Parfois non, certes, mais j’aime les gens qui, sans pour autant devenir secs et désincarné­s, savent faire court.

Avez-vous relu beaucoup de Maigret avant de choisir lequel vous alliez adapter?

J’avais envie de tourner un Maigret parisien. A partir de là, avec mon coscénaris­te Jérôme Tonnerre, on s’est partagé le travail. On n’a pas tout relu, car il existe un bouquin formidable, une espèce de bible Maigret qui détaille pour chaque titre l’endroit où se déroule l’histoire, l’année, les personnage­s principaux. Ça nous a permis de mettre de côté ce qui ne nous intéressai­t pas. Et on est tombés sur Maigret et la jeune morte, qui est émotionnel­lement très fort. Je suis très impatient de débuter le tournage. Filmer Depardieu en Maigret, ça me motive follement. Je l’adore, mais je n’ai jamais travaillé avec lui. Il y a une excitation à faire quelque chose qu’on n’est pas sûr de savoir faire.

S’est-il imposé d’emblée? Oui, car on s’est frôlés plusieurs fois; il y a eu des choses qui auraient pu se faire mais ne se sont pas faites. Il a adoré l’adaptation qu’on a écrite et je crois qu’il est très excité à l’idée d’incarner un personnage qui est aussi grand que lui. Maigret, c’est aussi connu que Depardieu. Je ne dirais pas qu’il peut tout jouer, mais Maigret, c’est pour lui. Il n’y a que lui qui peut avoir le culot d’incarner un personnage mythique qui a déjà été interprété par Gabin, par Pierre Renoir et tant d’autres.

Woody Allen a dit qu’un acteur ne se dirige pas, que tout se fait au moment du casting. Vous partagez ce point de vue?

Quand j’entends des réalisateu­rs prétendre qu’ils sont de grands directeurs d’acteurs, je trouve ça prétentieu­x et assez faux. Des acteurs aussi importants que Depardieu, Auteuil, Rochefort ou Marielle, on ne les dirige pas. Le choix de l’acteur est en effet l’essentiel de la direction. Je me souviendra­i toujours d’une conversati­on avec Marielle: «Oh moi, la seule chose que j’attends d’un réalisateu­r, c’est qu’il me dise plus vite, moins vite, c’est tout…» Ce n’est pas faux: ça veut dire que tout est une affaire de rythme.

Après vos débuts dans la comédie, vous réalisez en 1985 le film d’action «Les Spécialist­es», qui sera un tournant important. Aviez-vous alors envie de casser votre image?

C’est bien que vous précisiez cela, car on me dit souvent que le tournant, c’est Tandem en 1987. Alors que la vraie rupture, c’est en effet ce film. Dans ma carrière, il m’est arrivé de faire plein de trucs, parfois réussis, dont je n’étais pas à l’origine: c’est le cas des Spécialist­es. C’est le producteur Christian Fechner qui, un jour, me fait venir dans son bureau: «Patrice, j’ai une question: est-ce que vous voulez faire des comédies toute votre vie?» Il me dit alors qu’il veut faire un film d’action et d’aventure avec Lanvin et Giraudeau, sur la Côte d’Azur. Il n’avait pas une ligne de scénario, mais il avait confiance et voulait faire ça avec moi. Ça m’a beaucoup plu car je me suis retrouvé à la tête d’un film que je n’avais jamais fait. D’autant plus que ma dernière comédie, Circulez,

y a rien à voir!, était un film que j’aurais mieux fait de ne pas tourner; il n’est franchemen­t pas terrible, et ça a marqué la fin d’un truc. Les Spécialist­es est alors venu me piquer le derrière, et en plus ça a été un succès énorme qui m’a donné des ailes. Je me suis dit que, dorénavant, je pouvais faire ce que je voulais. Et j’ai enchaîné avec Tandem, Monsieur Hire, Le Mari de la

coiffeuse, Tango, qui sont des films qui partent tous dans des directions différente­s.

Lorsque vous tournez ensuite «Ridicule», qui se déroule à la cour de Louis XVI, c’est l’envie d’un premier film d’époque, d’une nouvelle rupture, qui vous guide?

Je ne me suis jamais dit que je voulais réaliser un film en costume, ou un film d’animation, simplement parce que je ne l’avais jamais fait. Ce n’est pas forcément intelligen­t de fonctionne­r comme ça. Mon envie, pour Ridicule, vient de ce scénario formidable qu’on m’a proposé, qui avait été écrit par un type brillant qui n’est plus là [Rémi Waterhouse]. Je n’ai pas changé une demi-virgule, j’aurais adoré écrire ça.

Et il s’agit du long métrage qui vous verra remporter les Césars du meilleur film et du meilleur réalisateu­r. Lorsque vous recevez cette double récompense, vous, le réalisateu­r des «Bronzés», y a-t-il comme un petit goût de revanche?

Je comprends ce que vous entendez par là, mais je ne suis pas revanchard pour un rond. En plus, quand j’ai fait Ridicule, cela faisait déjà un moment que je tournais des films autres que des comédies. A la sortie de Tandem et de Monsieur Hire, des choses très flatteuses avaient été écrites dans les journaux, du genre «Patrice Leconte entre dans la cour des grands». Comme s’il y avait la cour des galopins en culottes courtes qui font des comédies, et celle où tout d’un coup on se retrouve entre Tavernier et Blier… Même si je ne fais pas du cinéma pour recevoir des récompense­s, quand Ridicule a été joliment nommé aux Césars, puis récompensé, c’est vrai que ça m’a fait extrêmemen­t plaisir. Mais je ne l’ai pas vécu comme une reconnaiss­ance de la profession; c’était plus une cerise sur le gâteau.

Dans la foulée, vous réunissez pour «Une Chance sur deux» Belmondo et Delon, deux monstres sacrés du cinéma français qui n’avaient plus tourné ensemble depuis «Borsalino»…

Comme pour Les Spécialist­es, je reçois un coup de fil de Fechner: «Patrice, vous passeriez dans mon bureau? J’ai un truc à vous proposer.» Je m’assieds et il me dit: «Voilà, près de trente ans après Borsalino, je voudrais réunir à nouveau Delon et Belmondo. Et il n’y a qu’avec vous que j’aimerais faire ça.» Je lui ai simplement suggéré qu’on invente une histoire qui associerai­t Vanessa Paradis, que j’adorais. C’est presque comme un travail d’apprenti chimiste: vous prenez une éprouvette et vous mettez quelques gouttes de Paradis afin de voir ce que cela va donner. Et il a été d’accord. C’est un souvenir extraordin­aire, mais ça a été un film compliqué, lourd, un tournage long. Tous les matins, pendant que je me rasais, je me disais que j’étais en train de faire un film avec Delon et Belmondo… Je me sentais comme un enfant au pied du sapin le jour de Noël.

Le film sera par contre un échec commercial…

Ça a été plus dur pour Fechner, parce que c’était son idée. Le film a coûté cher et il pensait que ce serait un gros succès. On peut toujours refaire l’histoire, mais si on avait mené un sondage auprès du public, je crois qu’on n’aurait pas fait le film. L’essentiel des spectateur­s, c’est quand même en gros les 15-25 ans, et Delon et Belmondo ne leur disaient rien. Quant au public adulte, est-ce qu’il avait envie de les revoir ensemble après tant d’années? Cela dit, comme on pouvait le pressentir, lorsque le film est passé plusieurs fois à la télévision, il a eu de formidable­s indices d’écoute. C’était un film de télé…

Sentez-vous, comme d’autres réalisateu­rs, que, depuis une quinzaine d’années, il est de plus en plus difficile de monter des projets qui ne soient pas des films d’auteur à petit budget ou des grosses production­s calibrées?

Je ne suis pas malheureux, mais si pour l’instant j’ai fait 30 films, il y en a aussi 30 autres que je n’ai pas faits. Il y a autant de projets tombés à l’eau que de projets réalisés. Autrefois, un projet abandonné arrivait entre deux films que je tournais, donc je repartais vite sur autre chose. Là, il se trouve que je n’ai pas pu tourner depuis cinq ans. Mais je ne suis pas resté inactif: quatre projets très avancés, avec scénario, casting, producteur et repérages, sont tombés à l’eau. C’est en effet devenu difficile.

Parmi ces projets, quel est celui que vous regrettez le plus?

Je ne suis pas fataliste, mais lucide. Je pense que les films qui ne se sont pas faits, c’est peut-être parce qu’ils ne devaient pas se faire. Mais dans les quatre qui sont tombés à l’eau, il y en a un que j’aurais vraiment adoré tourner. Il s’appelait Deux passantes dans la nuit et se déroulait sous l’Occupation. Il ne s’agissait pas d’une reconstitu­tion, mais d’un film purement poétique, même si le mot est galvaudé. C’était l’histoire de deux filles, une magicienne et une autre sortant de prison, qui se retrouvaie­nt pour un itinéraire nocturne. C’était un scénario formidable, qui se passait sur une seule nuit.

5e Vevey Internatio­nal Funny Film Festival, du 24 au 27 octobre. Rencontre avec Patrice Leconte, samedi 26 à 15h30, Théâtre Le Reflet.

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 ?? (CINÉA) ?? Dans le road-movie «Tandem» (1987), Jean Rochefort interprète un animateur radio sur le déclin aux côtés de Gérard Jugnot.
(CINÉA) Dans le road-movie «Tandem» (1987), Jean Rochefort interprète un animateur radio sur le déclin aux côtés de Gérard Jugnot.
 ?? (TAMASA DISTRIBUTI­ON) ?? Rôle marquant de Jean-Pierre Marielle dans «Les Grands Ducs» (1996), qui suit les débâcles d’acteurs fauchés.
(TAMASA DISTRIBUTI­ON) Rôle marquant de Jean-Pierre Marielle dans «Les Grands Ducs» (1996), qui suit les débâcles d’acteurs fauchés.
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(BRUNO CHAROY/PASCO)
 ?? (MIRAMAX FILMS) ?? Bernard Giraudeau et Fanny Ardant en courtisans du roi Louis XVI dans «Ridicule» (1996).
(MIRAMAX FILMS) Bernard Giraudeau et Fanny Ardant en courtisans du roi Louis XVI dans «Ridicule» (1996).
 ?? (TAMASA DISTRIBUTI­ON) ?? Quarante ans après, «Les bronzés font du ski» (1979) et leurs débâcles dans les cimes sont restés mythiques.
(TAMASA DISTRIBUTI­ON) Quarante ans après, «Les bronzés font du ski» (1979) et leurs débâcles dans les cimes sont restés mythiques.

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