Au Mirazur, les simples émerveillements de Mauro Colagreco
Auréolé d’une troisième étoile au Guide Michelin, son établissement mentonnais couronné «Meilleur restaurant du monde» par le «50 Best», le chef Mauro Colagreco obtient, en l’espace de quelques mois, la reconnaissance culinaire absolue
Le temps d’un instant, mettons de côté classements et distinctions, même si l’année 2019 est clairement celle de Mauro Colagreco. Pour les néophytes
foodies, l’Italo-Argentin d’origine, patron du Mirazur à Menton, est le nouveau maître incontesté de la gastronomie mondiale. A lui seul, il déloge de son piédestal la vague nordique, ses produits fermentés et son ambassadeur René Redzepi, il lutte contre le vent transalpin et renverse son messager Massimo Bottura, et relègue à un lointain souvenir les excentricités culinaro-moléculaires espagnoles de Ferran Adria.
Revenant le matin même de la cérémonie parisienne du «50 Best», le chef est en pleine réunion avec ses équipes et se fait désirer. En l’attendant, petit tour du propriétaire en compagnie de son neveu à travers les potagers non loin du restaurant. Deux hectares de bonheur végétal délimité par des terrasses où des ruches côtoient un poulailler, des courges copinent avec des plantes aromatiques, des tomates, du basilic ou des framboises. Un véritable écosystème holistique en plein air.
LE GOÛT DE L’ADRÉNALINE
Retour au restaurant. Au milieu d’une végétation luxuriante, la salle à manger flambant neuve surplombe la Méditerranée. Mauro Colagreco est arrivé. Sourire éclatant et cheveux ébouriffés, il évoque en toute décontraction ses souvenirs sensoriels au sein d’une ambiance familiale baignée d’amour. «Difficile de réveiller une mémoire gustative sans faire le parallèle avec l’enfance. C’est quelque chose que l’on a en soi ou pas», explique celui qui, après des études littéraires, aurait dû être comptable. Une voie toute tracée qu’il quitte à l’âge de 23 ans lorsqu’il intègre la brigade d’un restaurant tenu par un ami. Officiellement pour se faire un peu d’argent. «Mais cette énergie, cette pression, cette adrénaline au quotidien m’ont complètement séduit. En fait, toute mon histoire part d’un échec.»
En 2000, diplôme de l’Ecole hôtelière de cuisine Gato Dumas à Buenos Aires en poche, le jeune apprenti décroche un stage chez Bernard Loiseau dans son temple triplement étoilé de Saulieu. Le «petit Argentin», comme on le surnomme, découvre la rigueur et la structure d’une cuisine à la hiérarchie pyramidale. Mauro Colagreco tombe sous le charme de l’approche culinaire avant-gardiste d’un chef qui, pour la première fois dans l’histoire de la cuisine française, allège ses sauces à l’eau et au jus de légumes au lieu de les monter au beurre et à la crème.
A la mort de Bernard Loiseau, il quitte la Bourgogne pour rejoindre les fourneaux parisiens d’Alain Passard. Le chef est en pleine mutation culinaire. Il délaisse la viande au profit des légumes dans son restaurant l’Arpège: une période quasi révolutionnaire dans le milieu de la haute gastronomie. «J’ai les souvenirs indélébiles d’une énergie commune vers la quête du produit parfait. C’était merveilleux», raconte le patron du Mirazur qui enchaîne ensuite avec un passage chez Alain Ducasse au Plaza Athénée suivi d’une halte chez Guy Martin au Grand Véfour. Le CV est complet, il est temps de songer à s’établir.
L’énergie et la volonté sont là mais pas les finances. Un couple d’amis lui parle d’un restaurant abandonné à quelques kilomètres de Monaco, à la frontière franco-italienne. En 2006, Mauro Colagreco saute sur l’occasion.
SIMPLICITÉ GOURMANDE
C’est le début de l’aventure Mirazur. Même si le chef qualifie sa cuisine d’apatride, elle demeure néanmoins méditerranéenne; à l’image de la tuile à la farine de pois chiches, crème d’aubergine fumée, anchois et poutargue. Le gamberoni rouge de San Remo, travaillé cru, crème caviar, amandes fraîches et carpaccio de courgettes sont une révélation au même titre que les haricots coco de Pigna, calamars, sauce au sésame blanc rehaussée d’un jus de viande et olives. L’émietté de tourteau et sa gelée de Ponzou (sauce japonaise à base d’agrumes) révèlent les différentes cultures du monde dont l’étendue se confirme avec le filet de merlu, beurre monté au sudashi, perle de tapioca, oeufs de truite et quelques ciboulettes.
Mauro Colagreco est à lui seul un espoir extraordinaire pour toute une génération de cuisiniers en quête d’inspiration et de cadre. Sa manière d’être et de faire succède à une période d’éparpillements gastronomiques; un retour aux fondamentaux du plaisir, à une simplicité gourmande, à une technicité raisonnée, à un culte du produit unique et local, le tout en privilégiant le goût et non l’ego.
C’est le porcelet et sa fine peau croustillante, rehaussé d’un jus de viande à la bière ambrée, accompagné de ses tagliatelles de potiron du jardin parfumées au romarin, qui incarne la justesse de sa philosophie culinaire. A des années-lumière des machines à azote liquide, de la déstructuration des matières et balayant une certaine forme d’élitisme gastronomique aussi pompeux que prétentieux, Mauro Colagreco est le nouvel exemple à suivre: celui d’un chef humaniste au talent pur et à la conscience tournée vers le monde. Les lignes de chemin de fer reliant la France et l’Italie passent en contrebas de son restaurant. Attention, le Colagreco Express est lancé.