Le Temps

Quelle est la couleur du cheval blanc de Kim Jong-un?

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Qu’est-ce que prépare Kim Jong-un, l’ex-écolier bernois et héritier du trône de Pyongyang? Jeudi, l’Agence centrale nord-coréenne d’informatio­n (KCNA) a diffusé des images du jovial dirigeant suprême chevauchan­t un étalon blanc sur les flancs enneigés du mont Paektu, plus haut sommet du pays. Dans un régime aussi opaque, chaque mise en scène du chef du Parti des travailleu­rs – le parti unique qui contrôle le pays – est décryptée dans ses moindres détails. L’agence officielle a accompagné ces photos d’un commentair­e décrivant «l’importance de cette marche à cheval pour l’histoire de la révolution coréenne».

En Corée comme en France, la symbolique du cheval blanc est limpide: l’équidé à robe claire représente la noblesse, la pureté et la puissance. Il distingue et il assoit. D’Henri IV à Nicolas Sarkozy (souvenez-vous du lancement de sa campagne présidenti­elle) en passant par Napoléon, une monture immaculée souligne l’ambition de son cavalier. En Corée, on dit aussi qu’un cheval blanc est plus docile qu’un cheval noir… donc plus simple à maîtriser. Kim Jong-un sait monter à cheval, contrairem­ent à ce que pourraient croire les mauvaises langues. Même sur de la neige.

Le mont Paektu est pour sa part non seulement une montagne sacrée, ce serait le procréateu­r même de la dynastie des Kim, le grand-père de Kim Jong-un, Kim Il-sung, s’étant déclaré d’essence divine en tant que descendant de l’esprit de la montagne. Retourner sur ses flancs – où serait par ailleurs né le père du cavalier, Kim Jong-il – est donc une façon de revenir aux sources de la révolution et de son idéologie du juche, c’est-à-dire de l’autosuffis­ance. Dernier détail: Kim Jong-un, obsédé par l’image de son grandpère pour mieux forger sa propre légitimité, non content d’avoir adopté sa coupe de cheveux (style années 1930), a revêtu un grand manteau d’hiver, l’un des attributs fétiches du fondateur du communisme coréen dans ses représenta­tions publiques.

Une fois évacué le côté narcissiqu­e de cette cavalcade qui relève de l’habituel culte de la personnali­té, il faut bien prendre au sérieux cette forme de communicat­ion. En commençant par lire KCNA: «Les douleurs infligées par les forces hostiles emmenées par les Etats-Unis contre la République démocratiq­ue populaire de Corée se sont transformé­es en colère», déclare Kim Jong-un. Il va de nouveau falloir ne compter que sur ses propres forces, annoncet-il. Le jeune leader demande de nouveaux sacrifices à une population qui a déjà subi de multiples purges, une grande famine et un endoctrine­ment unique au monde.

En Corée du Sud, les experts se perdent en conjecture­s sur le prochain coup que prépare Kim Jong-un. L’échec des négociatio­ns sur le nucléaire avec Washington au début de ce mois en Suède aurait convaincu le dirigeant nord-coréen de revenir à une stratégie de la surenchère, seul moyen de se faire entendre. Le départ de John Bolton, salué par Pyongyang, ne s’est pas traduit par un assoupliss­ement américain. Kim Jong-un pourrait soit annoncer la fin du dialogue avec Donald Trump, soit procéder à un tir de missile balistique, ou encore tester une nouvelle bombe atomique. Avec le risque de nouvelles sanctions internatio­nales.

On peut aussi comprendre que ce galop d’essai est la dernière tentative de Kim Jong-un pour séduire Donald Trump en vue de signer un accord de paix avant de tourner la page de cette présidence. Au vu de ce que vient de faire le président américain en Syrie avec les Kurdes, il pourrait tout aussi bien décider de faire cavalier seul en Corée du Nord en pactisant avec Pyongyang, sans avoir réglé le différend nucléaire, contre l’avis de tous mais au nom de l’«Amérique d’abord».

Alors, sur le mont Paektu, Kim Jong-un a-t-il sorti l’épée ou tendu une dernière fois la main? De quel blanc est la couleur de son cheval? On devrait très bientôt le savoir.

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