La cyberpédophilie se nourrit de nos pudeurs
C’est le plus vaste coup de filet dans l’univers de la pédophilie sur internet. Cette semaine, les autorités de plusieurs pays, dont les Etats-Unis, ont fait tomber le site Welcome to Video, qui diffusait du contenu pédopornographique d’une violence extrême sur le dark web. 250000 vidéos, dont près de la moitié avait été produite pour le site. L’opération, qui a abouti à la mise en détention de l’administrateur en Corée du Sud et de clients dans le monde entier, a permis de mettre en sécurité des victimes, 23 enfants – mais beaucoup d’autres n’ont pas encore pu être identifiés.
Etrangement, cette information intéresse peu les médias, mis à part les plus trash. Comme si ce phénomène terrible devait être relégué au second plan par pudeur ou convenance. Même chose du côté des autorités: peu de contrôles sont effectués sur le web et il n’y a pas assez de moyens – légaux, policiers, techniques – pour protéger les enfants. L’opinion ne fait pas pression car elle n’a pas encore pris la mesure du problème. Aucun symbole ne s’est imposé dans la conscience collective pour illustrer cette tragédie. Et pour cause. Ces histoires détruisent la vie des victimes, elles ont besoin d’ombre pour se reconstruire.
Il n’y a presque pas de lanceurs d’alerte, non plus. Qui irait prétendre s’être retrouvé «un peu par hasard» sur un de ces sites? Tout cela rend le travail de la presse difficile. Par ailleurs, les reporters qui enquêtent sur ces sujets voient des barrières s’ériger devant eux, tant d’un point de vue légal qu’éthique. Se connecter à ce type de site peut être considéré comme un délit, même pour un journaliste. Et il est difficile d’écrire sur ce que l’on n’a pas vu quand il s’agit de qualifier les faits. Enfin, une investigation en amont peut faire échouer une enquête de police en cours.
Autre difficulté: les aspects techniques. Les pédocriminels sont des experts des nouvelles technologies: ils masquent leur localisation, cryptent leurs messages, rendent leur matériel impénétrable. Dans l’affaire Welcome to Video, les policiers ont remonté la piste financière pour piéger le créateur du site. Ses transactions en bitcoin mal sécurisées l’ont trahi.
L’an dernier, les firmes de technologie ont estimé à 45 millions le nombre de photos et de vidéos à caractère pédophile sur le web, plus du double de 2017. Tous les contrôles semblent totalement dépassés. Les policiers américains – par dépit – classent les priorités en fonction de la jeunesse des victimes car ils ne pourront pas enquêter sur tous les cas. La technologie a créé un monstre, saura-t-elle le terrasser? Désormais, l’IA apparaît comme le seul recours possible face à une telle masse de données à traiter.
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