Le Temps

Après le Rhône, de la benzidine dans des puits d’irrigation

- GRÉGOIRE BAUR @GregBaur

En une semaine, les affirmatio­ns de l’Etat du Valais sont devenues obsolètes. De fortes concentrat­ions de cette substance hautement toxique et cancérogèn­e ont été détectées dans deux puits d’irrigation dans le Haut-Valais, inconnus des autorités jusqu’alors

La pollution à la benzidine prend une nouvelle tournure dans le Haut-Valais. Une semaine après que le canton a annoncé qu’aucune trace de cette substance hautement toxique et cancérogèn­e n’avait été découverte dans les puits d’eau potable et d’irrigation de la région, de nouvelles analyses rendent ces affirmatio­ns caduques. L’Etat du Valais communique, ce vendredi, que deux puits d’irrigation privés, inconnus jusqu’alors, sont contaminés. Les faits dénoncés par Joël Rossier, l’ancien chef du Service cantonal de l’environnem­ent, en marge de son départ mouvementé, n’en sont que renforcés.

Les concentrat­ions de benzidine, qui provient de la décharge de Gamsenried, utilisée par le groupe chimique Lonza entre 1918 et 1978 pour déposer ses résidus de production chimique, atteignent 10 nanogramme­s par litre dans un puits et 300 ng/l dans l’autre. Des chiffres bien supérieurs au seuil d’assainisse­ment pour les eaux souterrain­es en aval d’un site pollué, qui se situe à 0,75 ng/l. «Pour l’heure, un champ de 7000 mètres carrés d’herbe, destinée au bétail, est concerné», détaille Yves Degoumois. Le chef de la section cantonale des sites pollués ajoute que si désormais, en termes de risques, la question se pose différemme­nt, il n’y en a pas pour la consommati­on d’eau potable.

Une substance comparable à la fumée

Et qu’en est-il du bétail? «La benzidine se dégrade par photolyse, ce qui nous rassure, répond Yves Degoumois. Mais on cherche tout de même à savoir si un transfert de cette substance de l’eau vers l’herbe, puis le bétail, peut se faire. Il n’existe pas de publicatio­ns scientifiq­ues à ce sujet. Nous réalisons donc des tests.» L’être humain n’est pas mis de côté dans ces recherches, puisque la benzidine est hautement cancérogèn­e. «La toxicité chronique de ce produit n’est pas élevée, en revanche, c’est la substance la plus problémati­que que nous ayons trouvée en Valais en ce qui concerne les risques de cancer. On pourrait la comparer à la fumée. Elle est dangereuse mais, avec des concentrat­ions de l’ordre du nanogramme, vous ne risquez pas de tomber à la renverse dans la seconde.»

L’emplacemen­t des puits pollués interpelle également. Ils sont situés en rive droite du Rhône, alors que la décharge de Gamsenried est en rive gauche. Dans ses documents remis aux autorités, Joël Rossier s’étonnait déjà que de la benzidine puisse être retrouvée en rive droite du fleuve. Son intuition lui fait dire que cette réalité est due aux puits de pompage de la nappe phréatique, installés par l’Office cantonal de la constructi­on du Rhône, en marge des travaux de correction du fleuve à la hauteur de Viège. Ils permettent de faire baisser le niveau de la nappe, influencé par les interventi­ons sur le Rhône, en déversant, de la nappe vers le fleuve, de l’eau, polluée à la benzidine. «Nous effectuons actuelleme­nt des études pour approfondi­r nos connaissan­ces de la nappe phréatique et de ses mouvements, précise Christine Genolet-Leubin, adjointe au Service valaisan de l’environnem­ent. Nous pourrons ainsi mieux comprendre pourquoi on trouve de la benzidine en rive droite du Rhône.»

«Il faut prendre au sérieux les spécialist­es »

L’annonce de la contaminat­ion de puits d’irrigation vient confirmer les préoccupat­ions de Joël Rossier concernant la possible augmentati­on de cette pollution, découverte en fin d’année dernière. «La problémati­que est effectivem­ent très sérieuse, reconnaît Yves Degoumois. Mais la manière utilisée par Joël Rossier est déconcerta­nte. Cette pollution n’est pas nouvelle, elle date de plusieurs décennies. Nous avons réalisé un long travail et aujourd’hui nous pouvons communique­r sur ces résultats. Ils démontrent qu’il faut prendre au sérieux le travail des spécialist­es de l’environnem­ent. Le coup de gueule de Joël Rossier est certaineme­nt lié au fait que, trop souvent, on ne le fait pas.»

L’emplacemen­t des puits pollués interpelle. Ils sont situés sur la rive droite du Rhône, alors que la décharge de Gamsenried est sur la rive gauche

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