Le Temps

WeWork, we failed

La licorne du coworking est en pleine crise financière et existentie­lle. Alors que les cadres s’en vont les uns après les autres, l’entreprise cherche des milliards pour survivre, après son entrée en bourse avortée

- SERVAN PECA @servanpeca

Le temps presse pour WeWork. Depuis quelques semaines, les finances et la réputation de l’étoile montante de la location de bureaux partagés se sont dégradées au point que son avenir n’est désormais plus assuré.

WeWork cherche de nouveaux capitaux avant d’importante­s échéances en novembre qui, si elles ne sont pas honorées, pourraient précipiter sa perte. Selon les médias américains, la banque JP Morgan a rencontré en son nom des dizaines d’investisse­urs ces derniers jours, afin d’obtenir un prêt de plusieurs milliards de dollars. Parallèlem­ent, les Japonais de SoftBank, déjà propriétai­res d’un tiers du capital, souhaitent réinjecter des fonds et, ainsi, obtenir davantage de pouvoir pour redresser la barre.

Des pertes par milliards

Pour la société, la débâcle a commencé cet été. Elle prépare alors son entrée en bourse (IPO) depuis des mois. Un exercice grâce auquel elle espère être valorisée à une cinquantai­ne de milliards de dollars. En vue de son IPO, elle publie le prospectus qu’elle soumet au gendarme boursier. Le monde financier découvre à ce moment-là l’état réel de ses comptes: presque 1 milliard de dollars de pertes au premier semestre. Un rythme équivalent à l’année 2018, lorsque la société avait perdu 1,9 milliard de dollars. Le déséquilib­re est évident: le rythme de ses acquisitio­ns de surfaces est trop ambitieux, par rapport à la demande de bureaux partagés.

Rapidement, les investisse­urs déchantent. Les ambitions de l’IPO sont revues à la baisse: ce sera 10 milliards, pas plus. En septembre, l’entrée en bourse est finalement reportée sine die.

Créée en 2010 à New York par le couple Neumann, WeWork était pourtant la société la plus visible d’un secteur en pleine effervesce­nce. En moins de dix ans, elle en était venue à gérer plus de 500 sites dans environ 30 pays et à employer plus de 12000 personnes. Elle prétendait être devenue la plus grande détentrice de surfaces de bureaux à Londres, Washington et New York. En bref, elle était devenue la licorne la plus séduisante du partage d’espaces de travail.

WeWork, c’est un peu l’Uber du coworking. Elle se démarque de ses concurrent­s par son image technologi­que et le design de ses espaces. «C’est ce positionne­ment et l’efficacité de sa plateforme de services qui lui ont valu cette popularité et cette valorisati­on», observe Julien Grange, responsabl­e de projet pour la société Multiplex Constructi­on, à Londres.

Deuxième ressemblan­ce avec Uber: c’est une entreprise surcotée qui n’a pas encore trouvé comment rentabilis­er son activité. Simplement résumé, le modèle d’affaires du coworking consiste en la gestion, d’un côté, de baux à très long terme et, de l’autre, de locations à très court terme. «C’est le risque inhérent à cette activité», poursuit Julien Grange.

Mais dans le cas de WeWork, les risques ne se limitent pas au modèle d’affaires. Les documents déposés auprès de l’autorité boursière font apparaître d’autres signes de mauvaise gestion. A tel point que les grandes banques qui travaillai­ent de près avec WeWork doivent désormais aussi s’expliquer. «Ils ont mis la priorité sur leur croissance, et non pas sur leur organisati­on d’entreprise», a simplement répondu le directeur général de Morgan Stanley, David Solomon, sur CNBC.

En termes de gouvernanc­e, WeWork a en effet plusieurs problèmes. Et c’est son troisième point commun avec Uber: son patron est tout à coup devenu beaucoup moins fréquentab­le. Le Travis Kalanick du coworking, c’est Adam Neumann. Longtemps, sa réussite compensait ses frasques personnell­es, ses méthodes comptables et d’évidents conflits d’intérêts. Désormais, il est accusé de bien des maux. Le nouvel ex-milliardai­re a été poussé vers la sortie par son conseil d’administra­tion. Et il n’est pas le seul à avoir pris ses distances: WeWork a vu au moins cinq de ses hauts cadres quitter le navire depuis le début de la tempête.

Les autres en profitent

Cette semaine, les nouvelles sur WeWork se sont multipliée­s. Comme si l’horizon était dégagé, l’entreprise a, par exemple, annoncé l’ouverture de nouveaux locaux en Chine. L’agence Bloomberg, elle, a révélé la perte d’un gros client, Google, avec qui WeWork était en négociatio­n depuis des mois pour des bureaux à Toronto. Le géant californie­n a finalement choisi de travailler avec la concurrenc­e, en l’occurrence IWG, le propriétai­re de la société de bureaux flexibles Regus.

Une concurrenc­e qui profite des déboires de WeWork, IWG se positionna­nt comme un logeur stable et rassurant. Julien Grange en est d’ailleurs convaincu, il faut faire la distinctio­n entre les problèmes de WeWork et le business du coworking en général. «Ce modèle d’affaires ne doit pas être remis en cause.» Autrement dit, WeWork n’est pas un cas d’école. C’est un cas tout court.

 ?? (RUHANI KAUR/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES) ?? La publicatio­n des comptes de WeWork a fait apparaître un déséquilib­re évident: le rythme de ses acquisitio­ns de surfaces est trop ambitieux par rapport à la demande de bureaux partagés.
(RUHANI KAUR/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES) La publicatio­n des comptes de WeWork a fait apparaître un déséquilib­re évident: le rythme de ses acquisitio­ns de surfaces est trop ambitieux par rapport à la demande de bureaux partagés.

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