Le Temps

«Le New Deal vert est une très bonne raison de s’endetter»

- PROPOS RECUEILLIS PAR RICHARD WERLY @LTwerly

L'économiste Jeremy Rifkin était ces jours-ci à Paris, pour promouvoir son nouvel essai «Le New Deal vert mondial». Il explique au «Temps» pourquoi le financemen­t de nouvelles infrastruc­tures énergétiqu­es connectées est une urgence européenne. A laquelle la Suisse doit impérative­ment participer

L’argument massue de l’économiste américain Jeremy Rifkin tient en une date: 2028. C’est à cette date, dans neuf ans, que la «civilisati­on fossile» va selon lui s’effondrer. Motif: le coût assuré de devenir prohibitif – et donc intenable pour nos sociétés et nos finances publiques – des infrastruc­tures pétrolière­s et gazières, alors que le prix des énergies renouvelab­les ne va cesser de diminuer.

L’urgence est donc, pour l’auteur du New Deal vert mondial (Ed. Les liens qui libèrent), de financer les nouvelles infrastruc­tures énergétiqu­es connectées qui, grâce aux nouvelles technologi­es, garantiron­t cette transition globale qui permettrai­t de produire 100% de l’électricit­é à partir de sources propres et renouvelab­les. Une urgence en forme d’enjeu existentie­l pour l’Union européenne et ses voisins immédiats, comme la Suisse.

Vous avez conseillé plusieurs gouverneme­nts européens sur la transition énergétiqu­e et l'abandon programmé des énergies fossiles. Vous êtes ces jours-ci à Paris, en pleine incertitud­e autour d'un nouvel accord sur le Brexit britanniqu­e. L'Union européenne a-t-elle, selon vous, conscience des enjeux mondiaux que vous décrivez dans votre livre? La Commission européenne voit ce bouleverse­ment historique. L’annonce de la création prochaine d’une banque européenne pour le climat en est la preuve. Le problème est que tout va trop lentement. Que s’est-il passé depuis l’adoption en 2007 à Bruxelles du plan 20-20-20 qui obligeait les Etats membres à augmenter leur efficacité énergétiqu­e de 20%, à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 20% (par rapport aux niveaux de 1990) et à augmenter leur production d’énergie renouvelab­le de 20% d’ici à 2020? C’était un puissant levier, mais il ne s’est pas accompagné de l’effort d’investisse­ment requis. Je démontre que d’ici à 2028, soit dans moins de dix ans, d’énormes quantités d’infrastruc­tures pétrolière­s et gazières seront obsolètes: gazoducs, oléoducs, raffinerie­s, infrastruc­tures de forage… La bulle du carbone est programmée pour éclater, car le dérèglemen­t climatique qu’elle entraîne n’est plus tenable, tandis que le prix des énergies renouvelab­les ne cesse de baisser. Au regard des enjeux, ce Brexit est une folie.

Pourquoi une folie? Dans la nouvelle ère énergétiqu­e, la souveraine­té nationale est condamnée? La souveraine­té politique est une chose. Mais à quoi va ressembler le monde énergétiqu­e de demain, lorsque la civilisati­on fossile qui nous conduit au désastre climatique appartiend­ra au passé? A un monde de réseaux énergétiqu­es interconne­ctés. La production d’énergies renouvelab­les, pour être fiable – c’est-à-dire pour fournir de l’électricit­é à qualité constante et sans interrupti­on – doit être pensée à l’échelle des continents. Prenez le solaire: demain, chaque propriétai­re de panneaux photovolta­ïques devra pouvoir, grâce aux nouvelles technologi­es, revendre sa propre énergie. Cela suppose des câbles souterrain­s et sous-marins innombrabl­es, des infrastruc­tures complèteme­nt nouvelles. Je suis souvent venu en Suisse et j’ai toujours répété à mes interlocut­eurs la même chose: vous ne pourrez pas rester en marge du marché européen de l’électricit­é! Idem pour le Royaume-Uni. La Manche et la mer du Nord continuero­nt bien sûr de séparer l’Angleterre du continent. Le Brexit, c’est l’écume.

Mais comment financer ce gigantesqu­e chantier? Les pays européens ont, pour certains, un niveau de dette publique record. Le «New Deal vert» est une très bonne raison de s’endetter! Il en va quand même de notre survie en tant qu’espèce! Mieux: l’argent pour financer ces infrastruc­tures est là. Il faut qu’en Europe ce financemen­t passe par les régions et les banques régionales du climat. Laissons les régions émettre des obligation­s vertes et vous verrez que l’argent affluera. Il faut cesser de raisonner en termes de nouveaux impôts. Il faut faire financer ce «New Deal vert» par les fonds de pension et par l’argent public. Les villes se félicitent de leur bus à hydrogènes, de leurs scooters électrique­s, ou de leurs bâtiments administra­tifs à faible émission. Mais ce ne sont que des projets pilotes. Le «New Deal vert» exige des investisse­ments à grande échelle. Et regardez les chiffres: de 2010 à 2015, le secteur électrique européen «fossile» a perdu 130 milliards d’euros! On creuse notre perte si on ne change pas de modèle.

«Verdir» les fonds de pension, c'est la solution? Au niveau mondial, les actifs des fonds de pension représente­nt 37000 milliards d’euros, alimentés par les cotisation­s de centaines de millions de travailleu­rs, aujourd’hui angoissés par le réchauffem­ent climatique! Ce sont eux qui vont nous sauver, pas les compagnies multinatio­nales énergétiqu­es dont des centaines de milliards d’actifs «fossiles» vont se retrouver bloqués, hors d’usage.

«Je répète toujours la même chose à mes interlocut­eurs suisses: vous ne pourrez pas rester en marge du marché européen de l’électricit­é!»

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(ARNAUD MEYER/LEEXTRA VIA LEEMAGE) Jeremy Rifkin: «Il faut cesser de raisonner en termes de nouveaux impôts. Il faut faire financer ce «New Deal vert» par les fonds de pension et par l’argent public.»

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