Mieux que la gestion ESG, la valeur partagée
Une forme plus rémunératrice d’investissement durable consiste à trouver des entreprises qui se bâtissent un avantage compétitif en répondant à des problématiques sociales, affirment trois chercheurs de Harvard
La finance responsable est sur toutes les lèvres, particulièrement à Genève, qui lui a consacré une semaine d’événements début octobre. Mais cette appellation abrite plusieurs disciplines, aux stratégies et aux résultats très différents. Trois professeurs de la Harvard Business School proposent d’investir dans des entreprises qui se créent des avantages compétitifs en répondant à une problématique sociale ou environnementale, c’est-à-dire en créant de la «valeur partagée». Une approche d’investissement bien supérieure à la gestion durable classique, selon eux.
Rechercher les opportunités plutôt qu’écarter les risques. C’est en substance ce que proposent Michael Porter, George Serafeim et Mark Kramer, dans une tribune publiée dans le magazine Institutional Investor. Théorisée au milieu des années 2000 par l’un des chercheurs de Harvard, Michael Porter – et utilisée par Nestlé de longue date –, la notion de valeur partagée peut maintenant servir de boussole pour investir avec de meilleures perspectives de gains, selon les trois enseignants.
Opportunités commerciales
Les investissements selon des critères environnementaux, sociaux ou de gouvernance (ESG) ne rapportent pas forcément une surperformance, avancent les auteurs. Que ce soit en excluant les entreprises actives dans des secteurs controversés (tabac, armement) ou en privilégiant celles qui ont les meilleures pratiques. Au mieux, ces approches limitent les risques – ce qui n’est déjà pas si mal. Mais mieux vaut chercher des sociétés qui créent de la valeur partagée, affirment les chercheurs. Elles transforment des solutions à des problèmes sociaux et environnementaux pertinents pour leur activité en opportunités commerciales durables.
Un exemple est fourni par Discovery, un assureur santé sud-africain, dont le but affirmé est d’améliorer la santé de la population. Sauf que ce n’est pas qu’une belle intention: l’entreprise a introduit dans son modèle d’affaires des incitations pour que ses clients adoptent des comportements plus sains. Ses assurés sont récompensés lorsqu’ils atteignent des objectifs d’exercice physique hebdomadaires et reçoivent des subventions lorsqu’ils achètent de la nourriture saine.
La stratégie de Discovery modifie les comportements et tend à faire baisser les coûts de la santé tout en augmentant l’espérance de vie. L’assureur peut donc offrir des primes plus basses et dégager une rentabilité supérieure découlant directement de son impact social, estiment les auteurs. Enfin, l’étendue des données que détient Discovery lui confère un avantage comparatif et constitue une sérieuse barrière à l’entrée pour ses concurrents. Discovery leur permet néanmoins d’utiliser son approche, sous licence.
Cet exemple montre comment une entreprise peut offrir un produit plus attractif à ses clients et réduire ses coûts, tout en ayant un impact social positif. Ces deux dimensions ne sont pas prises en compte par l’approche traditionnelle ESG, soulignent encore les auteurs.
Une situation optimale est créée lorsqu’une entreprise agit sur trois niveaux pour créer de la valeur partagée, poursuivent-ils: sur ses produits, sa chaîne de valeur et l’environnement dans lequel elle évolue. Ils prennent l’exemple du fabricant américain de matériel médical Becton Dickinson, présent en Suisse à Eysins (VD).
Ses seringues rétractables améliorent la sécurité des patients et du personnel soignant, en évitant la propagation du virus HIV via des piqûres accidentelles. En outre, Becton Dickinson a étendu son marché vers les pays émergents, à travers un partenariat publicprivé avec les autorités chinoises qui a permis de former 700000 infirmières chinoises à l’utilisation de ses seringues.
Enfin, Becton Dickinson a amélioré son environnement en travaillant avec des gouvernements et des ONG pour promouvoir des politiques publiques en faveur de la sécurité dans le domaine des soins. Avec pour conséquence finale, des performances pour les actionnaires bien supérieures à celles des concurrents, concluent Michael Porter, George Serafeim et Mark Kramer.
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Les investissements selon des critères ESG ne rapportent pas forcément une surperformance