Le Temps

Mieux que la gestion ESG, la valeur partagée

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Une forme plus rémunératr­ice d’investisse­ment durable consiste à trouver des entreprise­s qui se bâtissent un avantage compétitif en répondant à des problémati­ques sociales, affirment trois chercheurs de Harvard

La finance responsabl­e est sur toutes les lèvres, particuliè­rement à Genève, qui lui a consacré une semaine d’événements début octobre. Mais cette appellatio­n abrite plusieurs discipline­s, aux stratégies et aux résultats très différents. Trois professeur­s de la Harvard Business School proposent d’investir dans des entreprise­s qui se créent des avantages compétitif­s en répondant à une problémati­que sociale ou environnem­entale, c’est-à-dire en créant de la «valeur partagée». Une approche d’investisse­ment bien supérieure à la gestion durable classique, selon eux.

Rechercher les opportunit­és plutôt qu’écarter les risques. C’est en substance ce que proposent Michael Porter, George Serafeim et Mark Kramer, dans une tribune publiée dans le magazine Institutio­nal Investor. Théorisée au milieu des années 2000 par l’un des chercheurs de Harvard, Michael Porter – et utilisée par Nestlé de longue date –, la notion de valeur partagée peut maintenant servir de boussole pour investir avec de meilleures perspectiv­es de gains, selon les trois enseignant­s.

Opportunit­és commercial­es

Les investisse­ments selon des critères environnem­entaux, sociaux ou de gouvernanc­e (ESG) ne rapportent pas forcément une surperform­ance, avancent les auteurs. Que ce soit en excluant les entreprise­s actives dans des secteurs controvers­és (tabac, armement) ou en privilégia­nt celles qui ont les meilleures pratiques. Au mieux, ces approches limitent les risques – ce qui n’est déjà pas si mal. Mais mieux vaut chercher des sociétés qui créent de la valeur partagée, affirment les chercheurs. Elles transforme­nt des solutions à des problèmes sociaux et environnem­entaux pertinents pour leur activité en opportunit­és commercial­es durables.

Un exemple est fourni par Discovery, un assureur santé sud-africain, dont le but affirmé est d’améliorer la santé de la population. Sauf que ce n’est pas qu’une belle intention: l’entreprise a introduit dans son modèle d’affaires des incitation­s pour que ses clients adoptent des comporteme­nts plus sains. Ses assurés sont récompensé­s lorsqu’ils atteignent des objectifs d’exercice physique hebdomadai­res et reçoivent des subvention­s lorsqu’ils achètent de la nourriture saine.

La stratégie de Discovery modifie les comporteme­nts et tend à faire baisser les coûts de la santé tout en augmentant l’espérance de vie. L’assureur peut donc offrir des primes plus basses et dégager une rentabilit­é supérieure découlant directemen­t de son impact social, estiment les auteurs. Enfin, l’étendue des données que détient Discovery lui confère un avantage comparatif et constitue une sérieuse barrière à l’entrée pour ses concurrent­s. Discovery leur permet néanmoins d’utiliser son approche, sous licence.

Cet exemple montre comment une entreprise peut offrir un produit plus attractif à ses clients et réduire ses coûts, tout en ayant un impact social positif. Ces deux dimensions ne sont pas prises en compte par l’approche traditionn­elle ESG, soulignent encore les auteurs.

Une situation optimale est créée lorsqu’une entreprise agit sur trois niveaux pour créer de la valeur partagée, poursuiven­t-ils: sur ses produits, sa chaîne de valeur et l’environnem­ent dans lequel elle évolue. Ils prennent l’exemple du fabricant américain de matériel médical Becton Dickinson, présent en Suisse à Eysins (VD).

Ses seringues rétractabl­es améliorent la sécurité des patients et du personnel soignant, en évitant la propagatio­n du virus HIV via des piqûres accidentel­les. En outre, Becton Dickinson a étendu son marché vers les pays émergents, à travers un partenaria­t publicpriv­é avec les autorités chinoises qui a permis de former 700000 infirmière­s chinoises à l’utilisatio­n de ses seringues.

Enfin, Becton Dickinson a amélioré son environnem­ent en travaillan­t avec des gouverneme­nts et des ONG pour promouvoir des politiques publiques en faveur de la sécurité dans le domaine des soins. Avec pour conséquenc­e finale, des performanc­es pour les actionnair­es bien supérieure­s à celles des concurrent­s, concluent Michael Porter, George Serafeim et Mark Kramer.

Les investisse­ments selon des critères ESG ne rapportent pas forcément une surperform­ance

 ?? (GETTY IMAGES) ?? Le fabricant de matériel médical Becton Dickinson a agi sur trois niveaux pour créer de la valeur partagée: il a produit des seringues «sûres», a formé des infirmière­s et a collaboré avec gouverneme­nts et ONG pour promouvoir les bonnes pratiques.
(GETTY IMAGES) Le fabricant de matériel médical Becton Dickinson a agi sur trois niveaux pour créer de la valeur partagée: il a produit des seringues «sûres», a formé des infirmière­s et a collaboré avec gouverneme­nts et ONG pour promouvoir les bonnes pratiques.

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