L’attachement hormonal, ça se cultive
Des scientifiques montrent que la production de l’ocytocine, impliquée dans les relations affectives, est influencée, chez le nourrisson, par la qualité des interactions sociales, avec des conséquences sur le tempérament
Au registre des hormones présentes dans notre organisme, certaines savent comment se faire remarquer. L’ocytocine est sans conteste de celles-là. Il faut dire qu’à côté de l’énergique testostérone ou de la stressante cortisol, cette molécule fait figure d’enfant de «coeur». Hormone de l’amour pour les uns, du plaisir pour les autres, l’ocytocine est non seulement essentielle à l’accouchement et à la lactation, mais elle joue également un rôle clé dans les mécanismes d’interaction sociale – notamment dans les processus d’attachement – en agissant comme un ciment relationnel.
Connu depuis près d’un siècle, objet de plus de 25000 publications scientifiques, ce peptide synthétisé par l’hypothalamus a su conserver une part de mystère, contribuant à la fascination des chercheurs à son égard. Une équipe américaine vient toutefois de lever un nouveau coin du voile en publiant, le 16 octobre dernier dans la revue Science Advances, une étude analysant – chez l’homme et durant la petite enfance – le rôle de l’ocytocine au sein du lien mère-enfant.
En conduisant leur recherche sur 101 binômes constitués d’une maman et de son bébé, et en réalisant un suivi entre l’âge de 5 et 18 mois, les chercheurs ont démontré que le gène du récepteur à l’ocytocine, nommé OXTR, pouvait être modifié en fonction de l’environnement social, plus précisément en réponse à l’engagement affectif maternel. Pour les scientifiques, la qualité de la relation entre une mère et son enfant serait ainsi en lien avec des modulations chimiques (ou méthylations) du gène OXTR, ce qui engendrerait une stimulation ou au contraire une inhibition du système ocytocinergique chez l’enfant.
Rôle sur le tempérament
En se basant sur des analyses de l’ADN prélevé dans la salive, mais aussi sur des questionnaires remplis par les parents eux-mêmes, les scientifiques ont également cherché à comprendre si ces variations pouvaient avoir un impact sur le tempérament des nourrissons à l’âge de 18 mois. Après avoir exclu tous les facteurs confondants – comme l’âge maternel, le nombre d’enfants dans la famille, le niveau d’éducation ou encore l’allaitement – les chercheurs en sont arrivés à la conclusion que les bébés présentant des niveaux élevés de méthylation du gène OXTR, phénomène induisant une moindre expression du récepteur à l’ocytocine, pouvaient se montrer davantage dérangés par les sons désagréables, les odeurs fortes, les lumières vives ou encore les vêtements trop serrés.
«D’un point de vue psychologique, des décennies de recherche ont mis en évidence, avant nous, la grande influence que peut jouer l’environnement précoce sur le développement des nourrissons, retrace Kathleen Krol, chercheuse à l’Université de Virginie, aux Etats-Unis, et principale auteure de l’étude. Néanmoins, sur le plan de la biologie moléculaire, nous ne savions pas à quoi nous attendre, car la méthylation de l’ADN n’avait jamais été testée sur de jeunes enfants au cours d’une longue période de temps. D’une certaine manière, nos travaux viennent corroborer ces précédents acquis, en identifiant le système ocytocinergique comme un système dynamique et malléable aux premières expériences relationnelles.»
Etudes sur l’autisme
Selon Ariane Giacobino, médecin adjointe agrégée dans le service de médecine génétique des Hôpitaux universitaires de Genève, c’est là le point fort de ce travail: «Nous avons actuellement peu de données dynamiques sur l’épigénome, à savoir l’ensemble des modifications pouvant intervenir dans la régulation des gènes. Avec cette étude, nous pouvons voir que l’effet positif ou au contraire délétère de l’environnement peut se répercuter en quelques mois sur le gène du récepteur à l’ocytocine, et ce en particulier chez les enfants dont le système semble plus plastique. Afin d’avoir une meilleure finesse d’interprétation, on aurait toutefois pu envisager d’analyser les effets de l’environnement sur d’autres récepteurs, comme la sérotonine – liée à l’humeur et au bien-être –, ou aux glucocorticoïdes, qui sont des récepteurs impliqués dans l’axe de la réponse au stress.»
Indirectement, la recherche menée par l’équipe de Kathleen Krol renvoie aux nombreuses études réalisées ces dernières années dans le but de tester les effets de l’administration d’ocytocine sur l’expression des comportements sociaux, notamment chez des personnes souffrant de troubles du spectre autistique, dont l’un des symptômes centraux est la perturbation des relations sociales.
«Comme le relève bien cette étude, qui est l’une des premières du genre à avoir été réalisée sur l’homme et non sur les rongeurs, le système ocytocinergique est à la source de nos comportements affiliatifs et sociaux, explique Angela Sirigu, directrice de recherche au CNRS et de l’Institut des sciences cognitives Marc-Jeannerod à Lyon. Dans ce sens, nous avons notamment démontré, au sein de notre laboratoire, que si l’on donnait, par voie intranasale, de l’ocytocine à des sujets sains et à des personnes souffrant d’autisme, leur capacité à comprendre les situations sociales s’en trouvait augmentée. Il reste néanmoins encore beaucoup à apprendre quant au rôle de cette hormone et sur la façon dont elle influence nos comportements.» Assurément, l’ocytocine n’a pas fini de nous surprendre…
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