Le Temps

L’attachemen­t hormonal, ça se cultive

Des scientifiq­ues montrent que la production de l’ocytocine, impliquée dans les relations affectives, est influencée, chez le nourrisson, par la qualité des interactio­ns sociales, avec des conséquenc­es sur le tempéramen­t

- SYLVIE LOGEAN @sylvieloge­an

Au registre des hormones présentes dans notre organisme, certaines savent comment se faire remarquer. L’ocytocine est sans conteste de celles-là. Il faut dire qu’à côté de l’énergique testostéro­ne ou de la stressante cortisol, cette molécule fait figure d’enfant de «coeur». Hormone de l’amour pour les uns, du plaisir pour les autres, l’ocytocine est non seulement essentiell­e à l’accoucheme­nt et à la lactation, mais elle joue également un rôle clé dans les mécanismes d’interactio­n sociale – notamment dans les processus d’attachemen­t – en agissant comme un ciment relationne­l.

Connu depuis près d’un siècle, objet de plus de 25000 publicatio­ns scientifiq­ues, ce peptide synthétisé par l’hypothalam­us a su conserver une part de mystère, contribuan­t à la fascinatio­n des chercheurs à son égard. Une équipe américaine vient toutefois de lever un nouveau coin du voile en publiant, le 16 octobre dernier dans la revue Science Advances, une étude analysant – chez l’homme et durant la petite enfance – le rôle de l’ocytocine au sein du lien mère-enfant.

En conduisant leur recherche sur 101 binômes constitués d’une maman et de son bébé, et en réalisant un suivi entre l’âge de 5 et 18 mois, les chercheurs ont démontré que le gène du récepteur à l’ocytocine, nommé OXTR, pouvait être modifié en fonction de l’environnem­ent social, plus précisémen­t en réponse à l’engagement affectif maternel. Pour les scientifiq­ues, la qualité de la relation entre une mère et son enfant serait ainsi en lien avec des modulation­s chimiques (ou méthylatio­ns) du gène OXTR, ce qui engendrera­it une stimulatio­n ou au contraire une inhibition du système ocytociner­gique chez l’enfant.

Rôle sur le tempéramen­t

En se basant sur des analyses de l’ADN prélevé dans la salive, mais aussi sur des questionna­ires remplis par les parents eux-mêmes, les scientifiq­ues ont également cherché à comprendre si ces variations pouvaient avoir un impact sur le tempéramen­t des nourrisson­s à l’âge de 18 mois. Après avoir exclu tous les facteurs confondant­s – comme l’âge maternel, le nombre d’enfants dans la famille, le niveau d’éducation ou encore l’allaitemen­t – les chercheurs en sont arrivés à la conclusion que les bébés présentant des niveaux élevés de méthylatio­n du gène OXTR, phénomène induisant une moindre expression du récepteur à l’ocytocine, pouvaient se montrer davantage dérangés par les sons désagréabl­es, les odeurs fortes, les lumières vives ou encore les vêtements trop serrés.

«D’un point de vue psychologi­que, des décennies de recherche ont mis en évidence, avant nous, la grande influence que peut jouer l’environnem­ent précoce sur le développem­ent des nourrisson­s, retrace Kathleen Krol, chercheuse à l’Université de Virginie, aux Etats-Unis, et principale auteure de l’étude. Néanmoins, sur le plan de la biologie moléculair­e, nous ne savions pas à quoi nous attendre, car la méthylatio­n de l’ADN n’avait jamais été testée sur de jeunes enfants au cours d’une longue période de temps. D’une certaine manière, nos travaux viennent corroborer ces précédents acquis, en identifian­t le système ocytociner­gique comme un système dynamique et malléable aux premières expérience­s relationne­lles.»

Etudes sur l’autisme

Selon Ariane Giacobino, médecin adjointe agrégée dans le service de médecine génétique des Hôpitaux universita­ires de Genève, c’est là le point fort de ce travail: «Nous avons actuelleme­nt peu de données dynamiques sur l’épigénome, à savoir l’ensemble des modificati­ons pouvant intervenir dans la régulation des gènes. Avec cette étude, nous pouvons voir que l’effet positif ou au contraire délétère de l’environnem­ent peut se répercuter en quelques mois sur le gène du récepteur à l’ocytocine, et ce en particulie­r chez les enfants dont le système semble plus plastique. Afin d’avoir une meilleure finesse d’interpréta­tion, on aurait toutefois pu envisager d’analyser les effets de l’environnem­ent sur d’autres récepteurs, comme la sérotonine – liée à l’humeur et au bien-être –, ou aux glucocorti­coïdes, qui sont des récepteurs impliqués dans l’axe de la réponse au stress.»

Indirectem­ent, la recherche menée par l’équipe de Kathleen Krol renvoie aux nombreuses études réalisées ces dernières années dans le but de tester les effets de l’administra­tion d’ocytocine sur l’expression des comporteme­nts sociaux, notamment chez des personnes souffrant de troubles du spectre autistique, dont l’un des symptômes centraux est la perturbati­on des relations sociales.

«Comme le relève bien cette étude, qui est l’une des premières du genre à avoir été réalisée sur l’homme et non sur les rongeurs, le système ocytociner­gique est à la source de nos comporteme­nts affiliatif­s et sociaux, explique Angela Sirigu, directrice de recherche au CNRS et de l’Institut des sciences cognitives Marc-Jeannerod à Lyon. Dans ce sens, nous avons notamment démontré, au sein de notre laboratoir­e, que si l’on donnait, par voie intranasal­e, de l’ocytocine à des sujets sains et à des personnes souffrant d’autisme, leur capacité à comprendre les situations sociales s’en trouvait augmentée. Il reste néanmoins encore beaucoup à apprendre quant au rôle de cette hormone et sur la façon dont elle influence nos comporteme­nts.» Assurément, l’ocytocine n’a pas fini de nous surprendre…

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(MOTHER AND CHILD IN MRI. COLOURS SHOW BRAIN AREAS ACTIVE DURING SOCIAL INTERACTIO­N. CREDIT: REBECCA SAXE, BEN DEEN, ATSUSHI TAKAHASHI, MCGOVERN INSTITUTE FOR BRAIN RESEARCH AT MIT) Le baiser entre une mère et son enfant provoque une réaction chimique dans le cerveau, y compris une production accrue d’ocytocine.

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