Le Temps

Marionna Schlatter, les ambitions sénatorial­es d’une Verte zurichoise

La présidente des Verts zurichois, portée par le courant vert et féministe, fait partie des nouvelles têtes au Conseil national. Ce dimanche, elle défie le PLR Ruedi Noser au Conseil des Etats

- CÉLINE ZÜND @celinezund

Au Café Motta, à deux pas de l’hôtel de ville zurichois, la présidente des Verts, Marionna Schlatter, sirote un Schale, un expresso noyé dans une grande tasse de lait. L’hiver a gagné le bord de la Limmat. Il ne reste que quelques jours avant le verdict des urnes et la politicien­ne de 38 ans irradie dans la grisaille de novembre.

Son large sourire s’affiche partout. Dans les rues, sur les marchés, dans les médias. Celle que les Zurichois connaissai­ent jusqu’ici comme contrôleus­e cantonale des champignon­s a vécu une ascension fulgurante au cours des six derniers mois: d’abord entrée au parlement cantonal en mars, puis au Conseil national le 20 octobre dernier, elle tente désormais sa chance au Conseil des Etats, où elle espère rejoindre le socialiste Daniel Jositsch, réélu au premier tour.

«Rien n’est impossible»

La jeune femme va-t-elle créer la sensation en battant son adversaire de droite, le sortant PLR en place depuis 2015 Ruedi Noser, 58 ans, lors du second tour ce dimanche? Les pronostics laissent peu d’espoir. Mais l’optimisme de cette politicien­ne passée en peu de temps de l’ombre à la lumière semble indéfectib­le: «Je sens un soutien incroyable derrière moi. Après tout, nous avons déjà réussi un exploit avec l’élection de Martin Neukom au Conseil d’Etat zurichois au printemps dernier. Rien n’est impossible.»

La stratège a fait ses calculs: elle estime que Ruedi Noser a besoin de 50% des voix UDC pour gagner. «Je doute qu’il ne les obtienne», dit-elle. Avant que son candidat, Roger Köppel, ne se retire de la course, le parti a multiplié les attaques contre son adversaire PLR. Désormais, l’issue du scrutin, dimanche, repose en grande partie sur le comporteme­nt des sympathisa­nts UDC: vont-ils se mobiliser pour barrer la route à la Verte, ou s’abstenir?

Mais ce n’est pas tout: pour espérer l’emporter, la Verte devrait aussi pouvoir compter sur une large mobilisati­on de l’électorat de gauche et vert’libéral. Or ce parti a décidé de ne donner aucune recommanda­tion de vote, laissant ses sympathisa­nts trancher seuls entre leur conscience écologiste et leurs conviction­s libérales.

Marionna Schlatter, qui n’a pas connu l’époque mouvementé­e de la séparation entre les deux branches vertes, refuse d’en prendre ombrage. Pourtant, cette absence de soutien clair souligne un talon d’Achille de la candidate: saura-t-elle rassembler largement, au-delà de son camp? Son adversaire, entreprene­ur qui peut compter sur le soutien des milieux économique­s, ne manque pas de lui reprocher ses attaques contre le néolibéral­isme.

«Je ne dis pas qu’il faut abolir le libre marché, mais je m’exprime de manière critique sur la logique économique qui guide notre rapport au monde, explique Marionna Schlatter. Evidemment, je ne serai pas élue par ceux qui pensent que rien ne doit changer. Nous n’avons plus besoin d’une économie basée sur l’exploitati­on des ressources naturelles. Que vaut notre bienêtre s’il conduit à la destructio­n de notre environnem­ent?»

Entre ville et campagne

Son déclic politique lui vient de son attachemen­t à la nature, en partie hérité de son père, un ancien soixante-huitard passionné de promenades en forêt et de champignon­s. Marionna Schlatter envisage d’abord d’étudier la biologie, avant de se tourner vers la sociologie: «Je me suis rendu compte que je risquais de passer ma vie à documenter la destructio­n de notre environnem­ent. Alors j’ai opté pour un cursus qui me permettait de mieux comprendre ce dont nous avons besoin pour changer notre système.»

En 2008, elle entre au secrétaria­t des Jeunes Verts, «le seul parti qui a fait de la nature un thème prioritair­e». C’est le début de sa carrière politique. Deux ans plus tard, elle prend la présidence du parti cantonal et connaît peu après son premier grand succès politique avec l’approbatio­n, en votation populaire, d’une initiative cantonale pour la protection des terres cultivable­s.

Installée avec son époux et ses deux enfants de 5 et 8 ans à Hinwil, dans l’Oberland zurichois, elle ne mange pas de viande et roule en voiture électrique, car «la vie est faite de compromis». Elle souhaite créer des ponts entre ville et campagne et entend convaincre en particulie­r les paysans que les écologiste­s sont leurs véritables alliés, contrairem­ent à l’UDC.

Les Verts, dont le succès repose aussi sur les inquiétude­s face aux bouleverse­ments environnem­entaux, ont-ils des penchants populistes? Le visage de la présidente du parti écologiste zurichois se fend d’un large sourire: «Nous avons toujours résisté à la tentation de mener des campagnes basées sur la peur, même si nous savons que c’est porteur», dit-elle. Puis il y a eu Greta Thunberg, et le climat est devenu un thème émotionnel. «Nous bénéficion­s d’une situation dont nous ne sommes pas entièremen­t responsabl­es, ajoute Marionna Schlatter. Le temps est venu pour un changement et nous étions prêts à l’incarner, car nous nous occupons de ce thème depuis toujours. Mais nous sommes convaincus que les préoccupat­ions sur le climat ne relèvent pas de l’hystérie, comme le prétendent nos adversaire­s. Elles reposent sur des données scientifiq­ues.»

«Je ne dis pas qu’il faut abolir le libre marché, mais je m’exprime de manière critique sur la logique économique qui guide notre rapport au monde»

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