Taxe poids lourds: un succès qu’il faudra moderniser
ENVIRONNEMENT Protection du climat et de l’environnement oblige, le transport des marchandises par le rail recevra de nouveaux coups de pouce. Et la redevance poids lourds augmentera pour certaines catégories de véhicules
Bien avant que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne tire la sonnette d’alarme, la Suisse s’est préoccupée de la préservation de ses montagnes. Il y a 25 ans, sa population a dit oui à l’Initiative des Alpes, enclenchant un processus de délestage des routes alpines au profit du rail. Le résultat de ce scrutin a fait de ce pays un pionnier de la protection de l’environnement. Il a construit les Nouvelles lignes ferroviaires alpines (NLFA): le Lötschberg en 2007, le Gothard en 2016. L’on s’apprête aujourd’hui à augmenter les capacités du premier, alors que les Etats voisins se sont à leur tour lancés dans le percement de leurs propres galeries ferroviaires, au Brenner et au Mont-Cenis.
Pour financer ses ambitieuses mais coûteuses transversales souterraines, la Suisse a inventé la redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations (RPLP), un instrument fiscal qu’elle a ancré dans l’accord bilatéral sur les transports terrestres. Cela n’a pas été sans mal. Mais l’outil fonctionne. Il rapporte 1,6 milliard par an. Mise en place il y a plus de 20 ans, cette stratégie apporte une réponse aux attentes exprimées en faveur de la protection du climat et de l’environnement alpin.
Cela fonctionne, mais la réalité des années 1990 n’était pas celle d’aujourd’hui. A l’époque, on faisait la chasse aux particules fines et aux émissions d’oxydes d’azote nocives pour la population. Mais on ne parlait pas du CO2. Or, cette dimension doit être intégrée dans les réflexions, soit dans le cadre de la loi sur le CO2, soit dans celui d’une réévaluation de la RPLP. Le Comité de l’Initiative des Alpes, qui comptera dès décembre cinq représentants (contre trois précédemment) aux Chambres fédérales, s’en préoccupera. Par ailleurs, la modernisation du parc de véhicules lourds réduit régulièrement les recettes de la RPLP, dont une partie sert à financer le développement du réseau ferroviaire.
Tôt ou tard, la RPLP devra être repensée. Pour maintenir les recettes, il faudra l’augmenter et l’étendre aux camions électriques. Pour cela, il faudra négocier avec l’UE. Or, les relations bilatérales sont déjà bien compliquées. Le projet d’accord-cadre est au point mort, d’autres négociations sectorielles sont en attente, la libre circulation des personnes est remise en question. Mais ce n’est pas vraiment le moment d’aborder ces sujets avec l’UE.
Un outil qui rapporte 1,6 milliard par an
Encore trop de poids lourds traversent la chaîne alpine par la Suisse. Alors que l’article constitutionnel sur la protection des Alpes adopté en 1994 fixait un nombre maximal de courses annuelles à 650000, 941000 traversées ont été recensées en 2018, selon les chiffres du rapport bisannuel sur le transfert du trafic publié mercredi par le Conseil fédéral. C’est beaucoup moins qu’en 2000 – 1,4 million –, mais «nous n’avons pas encore atteint le but visé», estime la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga. Et comme les camions sont bruyants et émettent des substances polluantes, il n’y a pas de raison qu’ils échappent aux mesures destinées à réduire celles-ci, protection de l’environnement et du climat oblige. C’est pourquoi Simonetta Sommaruga a fait passer au Conseil fédéral mercredi un paquet de mesures visant à intensifier le transfert du transport de marchandises de la route vers le rail.
Le principal instrument est la redevance poids lourds liée aux prestations (RPLP), corollaire de la construction des tunnels ferroviaires du Gothard et du Lötschberg. En vigueur depuis 2001, consigné dans l’accord bilatéral sur les transports terrestres, cet outil frappe aussi bien les transporteurs suisses qu’étrangers. Il doit être incitatif, afin de persuader les opérateurs de charger les marchandises sur le train ou de moderniser leur flotte de véhicules. Son tarif est modulé selon les classes de pollution des véhicules, ces classes étant échelonnées d’Euro 0 (les plus polluants) à Euro VI (les plus récents). La marge de manoeuvre du Conseil fédéral est fixée par l’accord bilatéral. La RPLP ne doit pas dépasser 325 francs en moyenne pour un trajet de 300 kilomètres (l’équivalent de Bâle-Chiasso) effectué par un 40 tonnes. Et son tarif ne doit pas excéder 380 francs pour la catégorie la plus chère.
Une grille tarifaire à rediscuter
Actuellement, la moyenne pondérée est de 293 francs. Avec la modernisation du parc de véhicules, elle risque de chuter à 275 francs d’ici à 2024, selon les calculs effectués par l’Office fédéral des transports (OFT). Pour cette raison, le Conseil fédéral propose de modifier la gamme tarifaire. Les camions des catégories Euro IV et Euro V paieront dès 2021 le même montant que les classes Euro 0 à Euro III, c’est-àdire 372 francs pour 300 kilomètres pour un 40 tonnes au lieu de 323 francs. Le montant maximal de la classe Euro VI demeure inchangé à 274 francs. Cette nouvelle grille tarifaire doit être avalisée par le Comité mixte.
A terme, le Conseil fédéral souhaite mener des réflexions plus approfondies sur cette grille tarifaire. Considérant que 90% des trains routiers appartiendront à la catégorie Euro VI à partir de 2021, il craint une nouvelle baisse des recettes. Il estime qu’il faudra ouvrir la discussion sur le relèvement de la RPLP également pour cette classe d’émissions. Mais il n’a encore rien décidé, car cela ne peut se faire qu’en «concertation» avec l’UE. Il s’agira aussi de voir dans quelle mesure la RPLP pourra être étendue aux poids lourds équipés de moteurs électriques ou hybrides, actuellement exonérés. Leur essor risque par conséquent d’entraîner lui aussi une baisse des recettes de la RPLP, qui sont utilisées pour financer les grands projets ferroviaires et alimentent les caisses des cantons. «Nous ne voulons pas prendre de décision trop rapide à ce sujet. Mais nous devrons tenir compte des évolutions technologiques, car il faudra bien que quelqu’un continue de payer la RPLP», commente Simonetta Sommaruga.
Intégrer le CO2
Pour tenter de diminuer le nombre de poids lourds qui traversent les Alpes, le Conseil fédéral a adopté d’autres mesures. Il réduit moins rapidement que prévu les contributions versées aux opérateurs de ferroutage (conteneurs, semi-remorques sans chauffeurs) et prolonge ce subventionnement jusqu’en 2026 au lieu de 2023; 90 millions seront ainsi mis à disposition pour ces trois années supplémentaires. Il compte aussi abaisser le prix du tarif perçu pour l’utilisation du réseau ferroviaire – ce qu’on appelle le sillon – dès 2021. Cela rendra le transport par rail moins cher et réduira la charge des transporteurs ferroviaires de fret de 90 millions par an. Un rabais spécial sera accordé pour les longs trains de marchandises (740 mètres). Et les contrôles des camions seront renforcés.
Le transfert vers le rail devrait par ailleurs être favorisé par l’achèvement de deux chantiers au nord et au sud du tunnel de base du Gothard. La nouvelle galerie ferroviaire du Ceneri sera mise en service en décembre 2020 alors que l’agrandissement du gabarit de plusieurs autres facilitera le transport de conteneurs et de semi-remorques d’une hauteur de 4 mètres aux angles. Par sa coordinatrice romande et future conseillère nationale Isabelle Pasquier (Verts/GE), le comité de l’Initiative des Alpes «salue la nouvelle dynamique» qui entoure ce sujet. Mais les mesures proposées lui paraissent insuffisantes: «Nous demandons l’application du montant maximal de la RPLP et la prise en compte du CO2, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, ainsi que la fixation de valeurs limites ambitieuses pour les camions», commente-t-elle.
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Le transfert vers le rail devrait être favorisé par l’achèvement de deux chantiers au nord et au sud du tunnel de base du Gothard