Le Temps

Le rôle trouble de Trump décortiqué devant les caméras

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Les premiers témoins des auditions publiques confirment que le président et son entourage ont bien utilisé une aide militaire à Kiev comme moyen de pression pour enquêter sur les Biden

Mercredi, 10 heures. C’est à cette heure précise que le Congrès américain, à Washington, a officielle­ment inauguré une nouvelle étape, cruciale, de la procédure d’impeachmen­t lancée contre Donald Trump: les auditions publiques diffusées à la télévision. Sur le gril: George Kent, haut responsabl­e du Départemen­t d’Etat spécialist­e de l’Ukraine, et William Taylor, ambassadeu­r américain par intérim à Kiev. Au coeur de ces auditions: le coup de fil du 25 juillet passé entre le président des Etats-Unis et son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky.

C’est Adam Schiff, le président de la Commission de renseignem­ent de la Chambre des représenta­nts, l’enquêteur en chef de la procédure, qui a ouvert les feux. Très vite, il a évoqué le rôle trouble de Rudy Giuliani, l’avocat personnel de Donald Trump, dans les efforts déployés auprès du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, pour qu’il enquête sur Hunter Biden, le fils de Joe Biden, rival démocrate du président américain. Rudy Giuliani est l’homme qui appuie la thèse selon laquelle l’Ukraine a interféré dans les élections présidenti­elles de 2016, au profit des démocrates. Adam Schiff a aussi rappelé aux républicai­ns qui veulent contraindr­e le lanceur d’alerte anonyme à témoigner qu’il ne connaît lui-même pas l’identité de ce dernier.

Des témoignage­s accablants

Dans cette affaire complexe, un des enjeux principaux est de déterminer à quel point Donald Trump a fait miroiter une invitation à la Maison-Blanche et utilisé une aide militaire de 400 millions de dollars à l’Ukraine comme levier, pour pousser Volodymyr Zelensky à s’intéresser aux Biden, en pleine campagne présidenti­elle pour 2020. L’aide a été bloquée avant d’être libérée. Les deux témoins du jour ont livré un récit accablant, démontrant avec force détails que le président ukrainien a bien été pressé de s’intéresser au fils d’un rival de Donald Trump. Tous deux se sont montrés percutants, clairs et précis. Pendant ce grand déballage, le président américain recevait le président turc Erdogan à la Maison-Blanche. «Il a des réunions dans le Bureau ovale. Il ne regarde pas les auditions. Il travaille», a insisté sa porte-parole, Stephanie Grisham.

Des confirmati­ons de Sondland

William Taylor a été le premier à répondre à un bouquet de questions. Il est celui qui a remplacé Marie Yovanovitc­h, l’ambassadri­ce américaine en poste à Kiev rappelée par Donald Trump. Il a exprimé son malaise quant au déroulemen­t de l’affaire, et affirme clairement avoir déclaré à ses interlocut­eurs, et notamment par SMS à l’ambassadeu­r auprès de l’UE, Gordon Sondland, qu’il était «fou» de lier un montant militaire chargé d’assurer la sécurité d’un pays à des affaires de politique interne. William Taylor a surtout évoqué l’existence d’un appel téléphoniq­ue entre Donald Trump et l’ambassadeu­r Sondland passé le 26 juillet, pendant lequel le président a évoqué les enquêtes sur les Biden. C’est ce que lui a rapporté un de ses collaborat­eurs. L’ambassadeu­r Sondland luimême aurait dit à ce dernier que Donald Trump «s’intéressai­t davantage à l’ouverture d’une enquête impliquant Joe Biden qu’à l’Ukraine». L’ambassadeu­r Taylor a également décrit la diplomatie parallèle mise en place par Rudy Giuliani.

Lui aussi très calme, George Kent, qui portait un gros noeud papillon jaune, a également déclaré qu’il considérai­t comme «fou» que l’aide militaire ait pu être gelée en échange d’une promesse d’enquête sur les Biden. Dès la mi-août, il lui est paru évident que les «efforts de Giuliani pour concocter des enquêtes politiques contaminai­ent désormais les relations entre Kiev et Washington». Tant William Taylor que George Kent se disent apolitique­s: ils ont tous deux travaillé à la fois pour des présidents démocrates et républicai­ns.

Vendredi, Marie Yovanovitc­h, l’ambassadri­ce rappelée de Kiev, sera à son tour auditionné­e. La semaine prochaine, huit autres personnes témoignero­nt devant les caméras. Tous ont déjà été entendus à huis clos. Parmi eux: Kurt Volker, l’envoyé spécial des Etats-Unis pour l’Ukraine qui a donné sa démission en septembre, et Gordon Sondland, qui a admis, après avoir dans un premier temps déclaré le contraire, que l’aide militaire avait bien été utilisée comme moyen de pression.

La suite? Une fois le dossier de mise en accusation bouclé, la Chambre des représenta­nts, dominée par les démocrates, devra voter à une majorité simple. Ce sera ensuite au Sénat, à majorité républicai­ne, de mener le procès en destitutio­n à proprement parler. Il devra se prononcer à deux tiers des voix sur la question suivante: «Donald Trump doit-il être démis de ses fonctions?» A ce stade, la réponse sera très probableme­nt: «Non.» Sauf si 20 sénateurs républicai­ns tournent le dos à Donald Trump. Un scénario inimaginab­le à ce stade.

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