Le Temps

Hermeto Pascoal, le coup d’éclat permanent

Le musicien brésilien, 83 ans, se produisait hier à l’AMR de Genève. Il sera jeudi à Zurich

- ARNAUD ROBERT Hermeto Pascoal & Grupo en concert à Zurich, Moods, jeudi 14 novembre à 20h30.

A un moment donné, il plonge la tête dans une bouilloire de fer-blanc et chante ’Round Midnight de Thelonious Monk en faisant des bulles dans l’eau. «Jusqu’à la prochaine vie, je resterai un enfant», crie-t-il à son traducteur qui est aussi son manager et semble épuisé de la tâche invraisemb­lable qui lui incombe. Mardi soir, à l’AMR de Genève, Hermeto Pascoal a enfilé une chemise rouge en wax au motif de cordes enroulées. De temps à autre, il attrape sa propre barbe blanche de Père Noël tropical, comme pour jouer à qui rira le premier.

Hermeto Pascoal est surnommé le sorcier, l’albinos fou ou le maestro, il vient d’un Etat brésilien si minuscule, si dépourvu de tout, que les Brésiliens en ignorent souvent le nom: Alagoas. Quand il était petit, doté d’une peau qui haïssait le soleil, Hermeto passait ses jours à l’ombre, à tirer de tout objet un chant. Au fil des ans, il a enregistré des radiateurs, des tapis et même un cochon vivant. A Genève, Hermeto alpague une fillette au premier rang: «J’ai repéré une enfant sensationn­ellement musicale. Je vais lui dédier ce morceau pour sabot et pilon.»

Sage et iconoclast­e

En effet, deux de ses musiciens s’exécutent et articulent un rythme de bal du Nordeste sur un soulier paysan de bois et un petit mortier double de mouleur d’épices. Le groupe d’Hermeto Pascoal est phénoménal d’écoute, de vigilance, de ressort. Le patron s’avance soudain au milieu de sa troupe et, de son petit corps sémaphore, indique la direction de la musique; puis renvoie la bande, déblaie le plancher pour laisser un solo à son stupéfiant bassiste, Itiberê Zwarg.

«Cela fait cinquante ans que je tourne avec mon groupe et mes salles ont toujours été remplies. Je mise autant sur la quantité que sur la qualité. J’ai écrit plus de 13000 morceaux, la plupart du temps sans les écrire vraiment.» Hermeto parle énormément. Il évoque les cuisses de sa prof Zelia, il dit qu’à 83 ans il a compris «qu’il faut sentir plutôt que de savoir». Ce concert, saturé d’esprits et d’anges, n’est pas seulement une chose hilarante. Il est le vivant héritage d’un iconoclast­e et d’un sage.

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