Le Temps

Soulitude, le festival de poche qui a osé supprimer la scène

D’un hommage à Roy Hargrove à la venue du légendaire batteur Billy Cobham, le rendez-vous genevois fête durant quatre soirs les cultures d’influences afro-américaine­s. Ici, pas question de grandir. Intimité et proximité avec les artistes sont la clé

- DAVID BRUN-LAMBERT

Il est des événements auxquels on se rend sachant qu’on sera un anonyme jeté dans la foule. Et puis d’autres où l’on retrouvera des amis sitôt arrivé. Où l’on vit des rencontres comme si l’on était invité à une fête privée. Où l’on écoute des concerts pointus organisés par et pour des fans de musique en pouvant presque toucher du doigt les artistes. Organisé depuis 2016, Soulitude Urban Expression­s affirme sa spécificit­é: bon esprit, prix accessible­s et, à l’affiche, talents émergents ou héros des galaxies jazz, soul, hip-hop.

Comme une réunion de famille

«On a créé ce rendez-vous à la manière d’une retraite musicale de quatre jours dédiée à 300 curieux et passionnés, expliquent d’une même voix Djamila Geymeier et Omar Chanan, fondateurs d’un événement ayant déjà reçu DJ Maseo (De La Soul) ou Kamaal Williams – bien avant que l’on s’arrache partout le boss de la nouvelle scène jazz made in London. D’emblée, on a voulu qu’il ressemble à une réunion de famille: une programmat­ion exigeante, mais accessible, et un soin particulie­r apporté au bien-être de chacun, public et musiciens.» De là l’impression pour le non-initié venu pour la première fois ici de s’être rendu moins à un festival qu’à un anniversai­re. Car, d’ailleurs, où est la scène?

«Dès le début, on a décidé qu’il n’y en aurait pas, rit Djamila. On voulait inviter les groupes à jouer au même niveau que le public. Ce choix ravit les artistes et permet également aux festivalie­rs de pleinement interagir avec les musiciens.» Qui était présent l’an dernier se souvient du vibraphoni­ste américain Roy Ayers se produire, hilare, entouré d’une mer de fans dans une ambiance de jazzclub sous tension. «Pour rendre ces instants de grâce possibles, nous faisons un maximum de choses par nous-mêmes, précise Omar, par ailleurs DJ et plasticien (sous le pseudo OCee), de l’accueil des artistes à celui du public, de la promo à

«On voulait inviter les groupes à jouer au même niveau que le public» DJAMILA GEYMEIER, ORGANISATR­ICE

l’annonce des concerts. On présente d’ailleurs les musiciens un peu comme s’ils étaient des amis invités à en rencontrer d’autres. Dans un music business où tout va vite, où les enjeux sont toujours plus pressants, les artistes sont sensibles à un tel rendez-vous de niche et de non-profit, où l’on prend le temps, où l’on se fait du bien.»

Entreprise artisanale inspirée, Soulitude assoit progressiv­ement à l’année son aura sur le paysage musical genevois. En 2018, hors festival, Djamila et Omar invitaient ainsi l’Américain Bilal à se produire à l’Athénée 4. Fièvre. Peu après, en collaborat­ion avec la Fête de la musique de la ville de Genève, ils conviaient cette fois aux bords du Léman le batteur Yussef Dayes, héraut de la scène jazz de South London. Claque. L’année suivante, on remettait ça, montant un ensemble orchestral formé de treize musiciens locaux (le Léon Phal Soulitude Ensemble) associé au chef d’orchestre californie­n Miguel Atwood-Ferguson pour un hommage à J. Dilla, producteur clé du hip-hop états-unien. Tenu à l’Alhambra, l’événement réjouissai­t, faisant parler.

Harmonieux et pérenne

Par la suite, la patte du duo Geymeier-Chanan se retrouvait lors d’autres événements ponctuels qui fédéraient les amateurs de rap old school et de new soul. Parmi eux, l’avant-première en Suisse du documentai­re D’Angelo: Devil’s Pie (Carine Bijlsma, 2019). «Toutes nos initiative­s, y compris notre implicatio­n avec Colors Records et la webradio Audiomatic dans l’ouverture de la galerie genevoise The Spot, sont liées par une même envie de partager une culture foncièreme­nt positive, affirme Djamila Geymeier. Pour nous, il ne s’agit en aucun cas d’un job! Mais d’une joie de construire quelque chose d’harmonieux et de pérenne.»

Pour sa quatrième édition, outre la venue du batteur Billy Cobham, collaborat­eur de Miles Davis notamment, le festival annonce une soirée hommage à Roy Hargrove sublimée par Renée Neufville, accompagné­e du Léon Phal Quintet, la venue de la pianiste Domi que rejoint le batteur JD Beck, celle du soulman Devin Morrison, de Large Professor – producteur de l’Illmatic de Nas – ou du Japonais DJ Koco.

 ?? (STEVE THORNE/REDFERNS VIA GETTY IMAGES) ?? Le batteur Billy Cobham, qui a collaboré notamment avec Miles Davis, se produira samedi 16 novembre.
(STEVE THORNE/REDFERNS VIA GETTY IMAGES) Le batteur Billy Cobham, qui a collaboré notamment avec Miles Davis, se produira samedi 16 novembre.

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