A Filmar, les films résonnent avec les luttes actuelles
Alors que la colère sociale grandit au Chili, en Equateur ou encore, tout récemment, en Bolivie, le festival de cinéma latino-américain genevois démarre vendredi pour une 21e édition résolument d’actualité
L’Amérique du Sud, lointain continent de luttes et de révolutions que le regard européen observe avec circonspection. Cette année, la 21e édition du festival Filmar en América Latina nous emmène scruter le quotidien de vendeuses ambulantes à San Salvador, le combat de militants du droit à l’avortement à Buenos Aires ou encore les amours naissantes d’un adolescent isolé à São Paulo. Un cinéma tantôt revendicateur et militant, tantôt léger et poétique, qui résonne fortement avec l’actualité à l’heure où le Chili, l’Equateur ou encore la Bolivie connaissent des soulèvements et une colère sociale sans précédent.
Durant deux semaines, Filmar présente plus de 80 longs métrages de fiction et documentaires. Pour la première fois cette année, une section entière est consacrée aux films tournés en langues autochtones. «Qu’ils soient eux-mêmes d’origine indigène ou non, les réalisateurs latino-américains accordent de plus en plus de place aux langues autochtones, comme s’il y avait la nécessité d’un retour aux sources, l’urgence de lutter pour leur survie», souligne Vania Aillon, à la tête du festival depuis trois ans. Wiñaypacha, tourné en aymara, raconte par exemple l’existence fragile d’un couple âgé sur l’Altiplano péruvien. Autre nouveauté: une table ronde dédiée au rôle des femmes dans le cinéma, en présence de Laura Cazador, réalisatrice du film Insoumises, qui raconte l’épopée de la Suissesse Enriqueta Faber, femme médecin dans le Cuba du XIXe siècle.
Trilogie chilienne
En ouverture, Filmar présente La Cordillère des songes, du Chilien Patricio Guzman, récompensé en mai dernier par l’OEil d’or du meilleur documentaire (ex aequo avec Pour Sama, de Waad al-Kateab au Festival de Cannes). Une ode majestueuse aux Andes, cette épine dorsale vibrante et complexe qui traverse l’Amérique latine du nord au sud, cette forteresse qui protège et isole tout à la fois du reste du monde. Sculpteurs, écrivains ou peintres: tous racontent le rapport particulier qu’ils entretiennent avec la montagne. Le film est le dernier volet d’une trilogie consacrée à l’histoire du Chili, entamée en 2010 avec Nostalgie de la lumière et poursuivie en 2015 avec Le Bouton de nacre. «Patricio Guzman a passé sa vie à capturer le Chili en mouvement, note Vania Aillon. On sent que c’est peut-être son dernier film, c’est aussi ce qui le rend émouvant.»
Au-delà de la beauté irréelle des paysages andins, des neiges éternelles qui se découpent dans le ciel, La Cordillère des songes met en scène la mémoire maudite de la dictature. Survoler les Andes, c’est aussi, pour le réalisateur Patricio Guzman, revivre les stigmates d’un coup d’Etat dont le pays ne s’est jamais vraiment remis. En ce sens, le film résonne brutalement avec l’actualité alors que le Chili vit au rythme de manifestations inédites depuis la mi-octobre. «Corruption, impunité, privatisation ou encore hausse des prix: on se demande comment le pays tient depuis trente ans, ironise Vania Aillon, elle-même d’origine chilienne. Plus largement, la faillite du modèle néolibéral nous amène à réfléchir sur notre propre situation en Europe.» Pour la directrice, tout l’enjeu est là: que ce regard braqué sur l’Amérique du Sud mène à une introspection, bouscule les certitudes et casse l’image d’Epinal trop souvent répandue.
S’il célèbre les poids lourds du cinéma latino-américain, Filmar entend aussi faire découvrir des pépites. Le réalisateur guatémaltèque Jayro Bustamante en fait partie. «Il présente deux films très différents et très aboutis», se réjouit Vania Aillon. Chefd’oeuvre de poésie, La Llorona mêle la figure légendaire ancestrale de la pleureuse aux fantômes de la guerre civile, tandis que Temblores aborde la délicate thématique de l’homosexualité en terres évangélistes.
Nouvelle vague argentine
Le collectif argentin El Pampero Cine, représenté par Alejo Moguillansky, incarne quant à lui une nouvelle vague surprenante et décalée. Il donne à voir les péripéties amoureuses d’un preneur de son (El loro y el cisne) ou encore les frasques d’une troupe d’artistes en tournée (Por el dinero).
Sous forte tension depuis l’élection de Jair Bolsonaro, le Brésil est aussi à l’honneur. «Les minorités indigènes, les acteurs culturels ou encore les personnes transgenres ont subi de plein fouet son arrivée au pouvoir», souligne Vania Aillon, qui a tenu à inviter Monica Benicio, l’ex-compagne de Marielle Franco, cette élue noire et lesbienne militante, assassinée à Rio de Janeiro en mars 2018. Elle débattra les 24 et 25 novembre après la projection du film Indianara. Dans un autre registre, l’intrigant A febre met en scène Justino, simple ouvrier dans le port de Manaus. Un matin, l’homme est terrassé par une mystérieuse fièvre alors que son Amazonie natale part, elle aussi, petit à petit en fumée. Un cri du coeur pour la préservation de l’environnement.
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