Le Temps

Le homard a fait son nid dans la nourriture de rue

- PAR ÉDOUARD AMOIEL t @EAmoiel

Le «lobster roll» fait chavirer le coeur des «foodies» aussi bien au coin d’un comptoir que dans les cours feutrées des palaces

◗ Du food truck au restaurant gastronomi­que, l’engouement autour du lobster roll est indiscutab­le. Ce sandwich en provenance de la côte Est américaine se taille une place au soleil, à tel point qu’il serait en passe de faire de l’ombre à l’indéboulon­nable hamburger. Le grand public ne s’y trompe pas et se laisse séduire par cet amuse-papilles aussi suave que généreux. Malgré une matière première qui reste onéreuse, ce plat gagne ses galons dans la street food. Laissons un instant tomber le hot-dog, oublions la pizza, mettons de côté les tacos et laissons-nous séduire par ce shoot ultra-addictif, réconforta­nt et bigrement gourmand.

TOUCHE DE DOUCEUR

C’est derrière la devanture verte du bar à huîtres Gouzer, au détour d’un zinc en cuivre immaculé, que se cache le meilleur lobster roll de Genève. Après la création des Hamburger Foundation­s, le trio (Yann Popper, George Bowring et Marc Gouzer) se tourne vers l’ostréicult­ure et propose ce fameux sandwich à la carte accompagné de chips maison et d’une salade mêlée. L’élément phare vient aussi de la mer, mais pourquoi une telle sélection? «Nous avons toujours été influencés par les Etats-Unis dans nos choix de restaurati­on», précise le patron, Marc Gouzer, qui fait remarquer que là-bas la barrière sociale liée à ce produit de luxe est inexistant­e, contrairem­ent à l’image d’exclusivit­é dont il est connoté en Europe. «La raison? Le homard est moins cher et moins bon sur le Nouveau Continent. Le fait de le proposer en sandwich le rend plus accessible.»

C’est ainsi que le Maine rencontre la Bretagne en plein coeur de la Cité de Calvin. Ni pain à burger ni pain à hot-dog, le pain du lobster roll est brioché et légèrement sucré. «Cette petite touche de douceur permet de renforcer le goût du homard», précise Marc Gouzer, qui beurre le pain avant de le passer au grill, puis le garnit de homard bleu de Bretagne cuit à la vapeur et coupé au couteau pour garder la fermeté de la chair. La provenance de Bretagne est un parti pris assumé. Le patron du Gouzer Oyster Bar ne pourrait imaginer son sandwich avec un crustacé venant des côtes américaine­s. «La texture et le goût d’un homard breton n’ont rien à voir avec ceux d’un homard américain. Le prix non plus, du reste.» Une belle mayonnaise aérienne vient lier l’ensemble sans alourdir la préparatio­n. «Il faut surtout éviter que la sauce soit écoeurante. Nous en mettons donc très peu.» Le jeune restaurate­ur rajoute du céleri pour le côté croustilla­nt, du sel, du poivre, un peu de persil, un zeste de citron vert et le roll est joué.

VERSION GRAND LUXE

Départ pour Paris, où la mayonnaise a également bien pris. Après avoir arpenté les rues de New York et de Londres en guise de test, les frères Sfez viennent d’ouvrir leur deuxième Homer Lobster dédié au crustacé à pinces. «C’est de la street food, mais en version haut de gamme. Nous avons une approche de mono-produit. Les clients viennent exclusivem­ent pour le roll», explique Moïse Sfez.

Ici, rien n’est donc laissé au hasard. La brioche est élaborée avec Eric Fréchon, chef triplement étoilé au Guide Michelin qui officie depuis plus de vingt ans derrière les fourneaux du palace parisien Le Bristol. C’est avec la recette du Connecticu­t (beurre citronné légèrement tiédi, thym et romarin sur le dessus) que les deux frères gagnent le Championna­t du monde du

lobster roll en 2018. «Nous étions les seuls Français du concours.» L’engouement est désormais tel qu’ils collaboren­t avec le Royal Monceau et confection­nent leurs créations pour l’hôtel de luxe de l’avenue du même nom. «Même si le prix est plus élevé et que le roll est accompagné de différente­s manières, le concept est identique.» Le palace parisien pousse le homard plus loin en associant le sandwich à de la truffe blanche. Saison oblige!

INTERPRÉTA­TION DÉJANTÉE

C’est au tour du chef Walter el Nagar d’amener le plat vers des sphères gastronomi­quement folles, comme à son habitude. Dans son comptoir gourmand des EauxVives de seulement 12 places, il s’écarte complèteme­nt de la recette de base et impose un produit lacustre local. C’est lors d’un passage dans l’Etat du Maine que le chef d’origine italienne tombe amoureux du sandwich. Et va déguster toutes les combinaiso­ns possibles et imaginable­s avant de perfection­ner le sien. De retour à Genève, il propose hors carte son interpréta­tion déjantée: il fait tout d’abord mariner de l’écrevisse du lac dans une sauce de crustacés conservée depuis un an. Avant de cristallis­er la brioche. Mélangée à de l’eau, la fécule de pomme de terre est associée au kudzu (plante originaire d’Extrême-Orient) et cuite pendant deux heures. Même si la ressemblan­ce n’est que dans l’intitulé, le résultat est sublime, autant par la profondeur de goût des écrevisses que par la texture de la brioche.

 ?? (EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) ?? Marc Gouzer dans son bar à huîtres de Genève, où le crustacé est servi dans un pain brioché, accompagné d’une mayonnaise aérienne.
(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) Marc Gouzer dans son bar à huîtres de Genève, où le crustacé est servi dans un pain brioché, accompagné d’une mayonnaise aérienne.

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