Le Temps

Impeachmen­t: la bataille finale de la communicat­ion

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Au terme d’une première semaine d’auditions publiques dans la procédure d’impeachmen­t qui le vise, Donald Trump tient bon. Il ne décroche pas dans les sondages. Ses médias – Fox News en tête – et ses tweets – en augmentati­on – assurent le maintien de la bulle communicat­ionnelle qui lui a permis de se faire élire et, jusqu’ici, de se maintenir au pouvoir avec l’appui indéfectib­le de sa base électorale et, avec elle, de celle du Parti républicai­n. Or l’issue de la bataille de l’impeachmen­t ne va pas se jouer au Congrès, mais dans l’opinion publique. La qualité des témoignage­s, qui se poursuiven­t la semaine prochaine, pourra jouer un rôle. Mais c’est surtout leur réception par le public qui sera déterminan­te. Et dans ce domaine, Trump conserve jusqu’ici l’avantage.

Le problème de cette procédure, pour les démocrates, est qu'elle se joue à l’envers. Contrairem­ent à ce qui s’était passé avec Nixon, lors du Watergate, le «smoking gun», c’està-dire l’enregistre­ment de la conversati­on qui prouve l’intention coupable du président, ne va pas venir couronner des mois d’enquête et faire la décision: il est déjà public. Il s’agit de l’entretien téléphoniq­ue, le 25 juillet, entre Donald Trump et le président ukrainien nouvelleme­nt élu Volodymyr Zelensky. On sait que Trump, qui a autorisé la publicatio­n de ce document mi-septembre, demande «une faveur» à son homologue, à savoir de travailler avec son avocat Rudy Giuliani, qui court-circuite la diplomatie, afin de relancer une enquête pour corruption d’une entité à laquelle est associé le nom du fils de Joe Biden, potentiel concurrent démocrate face à Trump pour la présidenti­elle de l’an prochain. La question de savoir si Trump, pour convaincre Zelensky, a joué du chantage de l’aide militaire est presque subsidiair­e, puisque c’est l’intention qui compte.

Salir un adversaire politique par des moyens illégaux pour assurer sa propre réélection, c’est le crime qui pourrait valoir une destitutio­n. C’est ce qui s’était passé avec Nixon, convaincu d’espionnage du QG du Parti démocrate. A la différence près que Trump, lui, recourt à une puissance étrangère pour parvenir à ses fins. «Ce qui est pire», comme le soulignait dans nos colonnes Chris Edelson, professeur de sciences politiques à l’American University de Washington DC. Cette intention est non seulement attestée par de multiples sources diplomatiq­ues, mais également par des proches de Trump, comme Gordon Sondland, nommé ambassadeu­r auprès de l’Union européenne. Tous le répètent depuis des semaines: le président voulait que Kiev enquête sur un groupe gazier ukrainien qui employait Hunter Biden.

Le problème, pour les démocrates, est que les électeurs de Trump, et le Parti républicai­n avec eux, ne voient pas ce qui cloche. Ils le voient d’autant moins qu’il n’en est pas à son coup d’essai. Lors de la présidenti­elle de 2016, Trump avait publiqueme­nt appelé WikiLeaks et la Russie à publier des documents volés au QG de campagne démocrate pour nuire à la campagne d'Hillary Clinton. Comment appelle-t-on cela? En fait, depuis cette campagne et l’élection de Trump, tous les standards de la politique américaine (donc le cadre démocratiq­ue jusque-là partagé par tous) ont volé en éclats. Et contrairem­ent aux républicai­ns de 1974, ceux de 2019 n’y voient rien à redire. La Commission d’enquête de la Chambre des représenta­nts pourra apporter tous les témoignage­s, tous les faits, toutes les preuves, il n’est pas du tout certain qu’elle remporte la seule victoire qui compte: celle de l’opinion publique, ou plutôt de la communicat­ion. Elle n’a pourtant pas d’autre choix que d’aller de l’avant, selon les exigences d’un Etat de droit. Et qui sait, finalement convaincre une majorité d’Américains qu’il y a des limites à l’indécence. En expliquant pourquoi leur président représente un danger pour les Etats-Unis.

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