Impeachment: la bataille finale de la communication
Au terme d’une première semaine d’auditions publiques dans la procédure d’impeachment qui le vise, Donald Trump tient bon. Il ne décroche pas dans les sondages. Ses médias – Fox News en tête – et ses tweets – en augmentation – assurent le maintien de la bulle communicationnelle qui lui a permis de se faire élire et, jusqu’ici, de se maintenir au pouvoir avec l’appui indéfectible de sa base électorale et, avec elle, de celle du Parti républicain. Or l’issue de la bataille de l’impeachment ne va pas se jouer au Congrès, mais dans l’opinion publique. La qualité des témoignages, qui se poursuivent la semaine prochaine, pourra jouer un rôle. Mais c’est surtout leur réception par le public qui sera déterminante. Et dans ce domaine, Trump conserve jusqu’ici l’avantage.
Le problème de cette procédure, pour les démocrates, est qu'elle se joue à l’envers. Contrairement à ce qui s’était passé avec Nixon, lors du Watergate, le «smoking gun», c’està-dire l’enregistrement de la conversation qui prouve l’intention coupable du président, ne va pas venir couronner des mois d’enquête et faire la décision: il est déjà public. Il s’agit de l’entretien téléphonique, le 25 juillet, entre Donald Trump et le président ukrainien nouvellement élu Volodymyr Zelensky. On sait que Trump, qui a autorisé la publication de ce document mi-septembre, demande «une faveur» à son homologue, à savoir de travailler avec son avocat Rudy Giuliani, qui court-circuite la diplomatie, afin de relancer une enquête pour corruption d’une entité à laquelle est associé le nom du fils de Joe Biden, potentiel concurrent démocrate face à Trump pour la présidentielle de l’an prochain. La question de savoir si Trump, pour convaincre Zelensky, a joué du chantage de l’aide militaire est presque subsidiaire, puisque c’est l’intention qui compte.
Salir un adversaire politique par des moyens illégaux pour assurer sa propre réélection, c’est le crime qui pourrait valoir une destitution. C’est ce qui s’était passé avec Nixon, convaincu d’espionnage du QG du Parti démocrate. A la différence près que Trump, lui, recourt à une puissance étrangère pour parvenir à ses fins. «Ce qui est pire», comme le soulignait dans nos colonnes Chris Edelson, professeur de sciences politiques à l’American University de Washington DC. Cette intention est non seulement attestée par de multiples sources diplomatiques, mais également par des proches de Trump, comme Gordon Sondland, nommé ambassadeur auprès de l’Union européenne. Tous le répètent depuis des semaines: le président voulait que Kiev enquête sur un groupe gazier ukrainien qui employait Hunter Biden.
Le problème, pour les démocrates, est que les électeurs de Trump, et le Parti républicain avec eux, ne voient pas ce qui cloche. Ils le voient d’autant moins qu’il n’en est pas à son coup d’essai. Lors de la présidentielle de 2016, Trump avait publiquement appelé WikiLeaks et la Russie à publier des documents volés au QG de campagne démocrate pour nuire à la campagne d'Hillary Clinton. Comment appelle-t-on cela? En fait, depuis cette campagne et l’élection de Trump, tous les standards de la politique américaine (donc le cadre démocratique jusque-là partagé par tous) ont volé en éclats. Et contrairement aux républicains de 1974, ceux de 2019 n’y voient rien à redire. La Commission d’enquête de la Chambre des représentants pourra apporter tous les témoignages, tous les faits, toutes les preuves, il n’est pas du tout certain qu’elle remporte la seule victoire qui compte: celle de l’opinion publique, ou plutôt de la communication. Elle n’a pourtant pas d’autre choix que d’aller de l’avant, selon les exigences d’un Etat de droit. Et qui sait, finalement convaincre une majorité d’Américains qu’il y a des limites à l’indécence. En expliquant pourquoi leur président représente un danger pour les Etats-Unis.
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