Un temple pour la renaissance des Yézidis
L’Arménie compte 35 000 fidèles de cette religion jugée satanique par le groupe Etat islamique qui a cherché à l’éradiquer en Irak. L’ouverture du plus grand lieu de culte yézidi du monde a valeur de revanche pour tout un peuple
Sur la route qui mène au village d’Aknalich, les cheminées de l’unique centrale nucléaire arménienne de Metsamor, vestige soviétique critiqué pour sa vétusté, captent le regard des automobilistes. Mais c’est une construction d’un autre genre qui attire les visiteurs dans la région depuis quelques semaines. Aknalich, bourgade aux ruelles trouées, à une trentaine de kilomètres du tumulte de la capitale, Erevan, abrite désormais le plus grand temple yézidi du monde. En s’enfonçant dans le village, on finit par apercevoir le dôme en forme de cône strié coiffant l’édifice dédié à l’ange paon Malek Taus, plus importante divinité chez les Yézidis.
L’Arménie abriterait 35000 membres de cette communauté d’ethnie kurde pratiquant le yézidisme, un syncrétisme de religions mésopotamiennes anciennes comme le zoroastrisme et des religions abrahamiques. Non prosélyte – on naît yézidi, on ne le devient pas –, le yézidisme reste mal connu car très peu ouvert sur l’extérieur. Ce qui a valu à ses fidèles d’être persécutés depuis des siècles au Moyen-Orient. Certains sont venus s’installer dans le Caucase sous domination russe à partir du XIXe siècle, fuyant la répression ottomane.
Jour de funérailles
Ce jour-là, sur le parking du temple d’Aknalich, les voitures se comptent par centaines. C’est jour de funérailles: Mirza Sloyan, homme d’affaires arménien et Yézidi qui a financé le temple tout juste inauguré, est décédé quelques jours plus tôt à l’âge de 73 ans en Allemagne, où il était soigné. Plusieurs milliers de Yézidis sont venus lui rendre hommage. «Il est très respecté ici, il a beaucoup fait pour nous», estime Rostom, 32 ans et né lui aussi en Arménie. Ayant fait fortune en Russie, Mirza Sloyan a notamment créé une chaîne d’actualité yézidie, Lalish TV, basée à Moscou.
«Il a voulu construire un premier temple à côté du cimetière d’Aknalich parce que son père y est enterré», explique Sashik Sultanyan, président du Centre yézidi pour les droits de l’homme. Ce premier temple achevé en 2012 a vite conquis la communauté locale. «Mirza Sloyan a alors décidé de construire un temple plus grand.» Son projet en Arménie serait cependant passé inaperçu si le groupe Etat islamique (EI) n’avait chassé, en août 2014, les Yézidis jugés mécréants de la région du Sinjar irakien. Exécutant sommairement les hommes, enrôlant les enfants pour combattre dans ses rangs et réduisant les femmes en esclaves domestiques et sexuelles destinées à être remariées ou revendues, l’EI a mené une politique d’extermination de l’identité yézidie. Ceux qui ont fui à temps ont trouvé asile dans d’autres pays de la région, dont l’Arménie.
Selon l’ONU, entre 2000 et 5500
Yézidis, sans compter les disparus, ont été tués au Sinjar et plus de 300 000 se trouveraient toujours dans des camps de réfugiés au Moyen-Orient. En 2016, elle a qualifié les attaques de l’EI de génocide. L’inauguration du site d’Aknalich fin septembre, suivie un mois plus tard par la mort du calife autoproclamé de l’EI, Abou Bakr al-Baghdadi, a donc valeur de revanche pour tout un peuple.
Lieu de vie
Avant d’accéder au temple d’Aknalich, une marche sur une longue esplanade parsemée de statues de figures historiques yézidies s’impose. Le site a en fait été imaginé comme un complexe composé, outre les deux temples et le cimetière, d’un «centre d’éducation», d’un séminaire et d’un musée. La notion de lieu de vie est pleinement revendiquée par Sashik Sultanyan, qui veut ouvrir au monde sa communauté ancrée dans des traditions séculières grâce à ce genre d’endroits. «Imaginez, sur les 30000 Yézidis d’Arménie, seuls 20 sont étudiants…» regrette-t-il.
Non prosélyte
– on naît yézidi, on ne le devient pas –, le yézidisme reste mal connu car très peu ouvert sur l’extérieur
Organisé en système de castes, le yézidisme exige également une séparation des sexes assez stricte au quotidien. Les mariages précoces des filles sont chose courante. Des coutumes qui ne sont pas toujours bien acceptées en Arménie, où des sièges parlementaires sont réservés aux minorités ethniques depuis 2015.
C’est pourtant une femme, Nadia Murad, qui incarne désormais le peuple yézidi aux yeux du monde. Capturée et violée par des djihadistes à qui elle a fini par échapper, elle a été désignée Prix Nobel de la paix en 2018 pour son activisme en faveur de ses soeurs tombées aux mains de l’EI. Sur l’esplanade d’Achnalik, une statue à son effigie s’est ajoutée, la seule représentant une figure féminine. Une femme yézidie élevée au même rang que les hommes. Le signe, peut-être, d’un début de changement.
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