Le Temps

Le train de nuit Venise-Paris qui traverse Lausanne sans s’arrêter

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

Sous l’effet du réchauffem­ent climatique, l’offre de trains nocturnes s’étoffe au départ de Bâle et de Zurich. Mais pas en Suisse romande, pourtant traversée par le Paris-Venise

Deux nuits par semaine, un train reliant Venise à Paris et un autre circulant dans le sens inverse traversent la gare de Lausanne sans s’y arrêter. A l’heure où l’on parle de relancer les trains de nuit pour diminuer les déplacemen­ts en avion, cela paraît étrange. La société qui exploite cette liaison nocturne internatio­nale, Thello – qui appartient à 100% à Trenitalia depuis 2016 –, avait bien déposé une demande d’arrêt à Lausanne en 2017. Mais la requête a été refusée par les CFF. Interrogés, ceux-ci expliquent que «ce sont les représenta­nts de la douane qui ont rejeté cette demande, pas les CFF». Il faut relever que les deux compositio­ns arrivent à Lausanne autour de 3 heures du matin. «Pour cette raison, un arrêt ne serait pas opportun, ni du point de vue commercial ni du point de vue de la clientèle», admettent les CFF.

Mais c’est surtout un souci migratoire et sécuritair­e qui a motivé la décision négative de 2017. Selon plusieurs sources concordant­es, les autorités fédérales craignent que, en cas d’arrêt en pleine nuit à Lausanne, ce train ne soit utilisé abusivemen­t par des clandestin­s ou pour du trafic de marchandis­es illicites. Pourtant, des contrôles intenses sont effectués aux postes frontières de Brigue et de Vallorbe. Ils ont d’ailleurs le don d’irriter Roberto Rinaudo, le patron de Thello. «Ces contrôles ont engendré des retards allant jusqu’à 180 minutes», s’est-il plaint lundi à Zurich dans le cadre d’une conférence consacrée au potentiel des trains de nuit au départ de la Suisse.

L’affaire de la femme syrienne

Des mesures ont été mises en place afin de mieux respecter les horaires: filtrage à quai à Milan par la police italienne, vérificati­on nominative des titres de transport, meilleure coopératio­n entre Thello et les douanes suisses. «Malgré tous ces efforts, il y a encore des retards à cause des contrôles des douanes suisses. Ils peuvent retarder les trains de 70 à 90 minutes, la moyenne par train étant d’environ 35 minutes», regrette Roberto Rinaudo. Cette situation découle des tensions que crée la liaison nocturne Venise-Paris, parfois surnommée le «convoi de l’exil». C’est précisémen­t dans l’un de ces trains qu’avait pris place en 2014 la femme syrienne qui s’est ensuite fait refouler à Vallorbe et a perdu son bébé pendant son expulsion.

L’exploitati­on du Venise-Paris, qui dessert Milan et d’autres cités du nord de l’Italie, est aussi perturbée par les nombreux chantiers. «Il doit souvent être détourné sur un autre itinéraire et ne passe pas toujours par Lausanne», relèvent les CFF. Il lui arrive en effet d’être dévié par le tunnel franco-italien du Fréjus. Il souffre d’une «grande fragilité de circulatio­n», selon l’expression utilisée par Roberto Rinaudo.

Un constructe­ur suisse

La Suisse romande n’est ainsi desservie par aucune liaison ferroviair­e nocturne internatio­nale. Contrairem­ent à la Suisse alémanique, où l’offre ne cesse de s’étoffer. Zurich et Bâle sont reliés à

Hambourg, Berlin, Vienne et d’autres villes de l’Est européen. Ces dessertes sont gérées par les Chemins de fer autrichien­s (ÖBB) en coopératio­n avec Deutsche Bahn et les CFF. Ces derniers ont annoncé en août leur intention d’intensifie­r leurs collaborat­ions avec les collègues autrichien­s. Cela concerne aussi le matériel roulant. Or, l’un des constructe­urs européens de wagons-lits et de voitures-couchettes se trouve en Suisse: il s’agit de Stadler, qui honore actuelleme­nt une commande des chemins de fer d’Azerbaïdja­n pour l’axe Bakou-Tbilissi-Istanbul.

«Impossible de couvrir les coûts»

La Commission des transports du Conseil national s’est aussi penchée sur la question des trains de nuit en début de semaine. Elle a pris acte du fait que, «même avec un bon taux de remplissag­e, il ne sera pas possible de couvrir les coûts liés à cette offre en Suisse». L’Office fédéral des transports (OFT) lui a néanmoins présenté trois scénarios qui pourraient permettre de soutenir une telle offre. Le premier consiste à abaisser le prix d’utilisatio­n du réseau pour les trains internatio­naux. Mais l’allégement ne serait que de quelques millions de francs, souligne l’OFT. La deuxième piste est celle du versement de subvention­s, mais il faudrait tenir compte des directives européenne­s qui interdisen­t de subvention­ner des prestation­s soumises aux règles de la concurrenc­e. Troisième possibilit­é: les liaisons nocturnes pourraient faire l’objet de soumission­s publiques. Des opérateurs étrangers pourraient s’y intéresser. Mais, pour cela, la Suisse devrait sans doute reprendre la directive européenne sur l’ouverture du transport internatio­nal de voyageurs, prévient l’OFT.

Celui-ci s’est dit prêt à explorer ces pistes «si cela s’avérait souhaitabl­e sur le plan politique». De leur côté, les CFF observent «un intérêt en Suisse romande pour des trains de nuit en direction de l’Espagne, mais le potentiel n’est pas très grand et la question du financemen­t se pose». Ils se disent eux aussi prêts à approfondi­r la question si cela répond à «un souhait politique». Or, là est la grande question. Roberto Rinaudo est sceptique: le train de nuit «n’est pas jugé prioritair­e» en Suisse, constate-t-il.

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