Le Temps

Les cow-boys de la brigade des renvois plaident leur acquitteme­nt

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Excès filmés, propos graveleux, interpella­tion musclée, le Ministère public estime que «quelque chose ne tourne pas rond» chez ces assistants de sécurité publique. La défense des cinq prévenus a plaidé l’acquitteme­nt. Récit d’audience

«Ce sont des choses qu’on ne devrait jamais voir.» Au procès des cinq agents de la brigade des renvois, le procureur général Olivier Jornot a requis la condamnati­on de cette équipe qui a «largement oublié le principe cardinal de la proportion­nalité». Traquenard et rodéo pour interpelle­r un étranger en se donnant quelques frissons, vidéos trahissant un climat délétère et irrespectu­eux envers les mendiants, le Ministère public estime que «quelque chose ne tourne pas rond» chez ces membres du corps de police. Pas du tout, rétorquera la défense en contestant à l’unisson tout abus d’autorité. «Ils ont bien fait leur travail», insiste Me Robert Assaël, en dénonçant l’emballemen­t du parquet.

«Comporteme­nts indignes»

De ces fameuses vidéos, réalisées souvent en douce par le prévenu le plus lourdement chargé, l’accusation a donné d’autres exemples à l’occasion de son réquisitoi­re. Certaines des images ne trahissent pas une infraction pénale mais en disent long sur la mentalité des assistants de sécurité publique impliqués. Par exemple, T. a filmé deux Africains placés dans une salle d’audition, à qui on glisse une photo de femme nue sous la porte avant de rire de leur réaction.

Lors d’une interventi­on au centre de détention administra­tive de Frambois, le même T. a encore immortalis­é la coercition de niveau maximum employée pour neutralise­r un Nigérian qui se débattait. «C’est bien que le mec de la torture soit pas là», fait remarquer un des gros bras en référence aux observateu­rs extérieurs qui accompagne­nt parfois ces vols spéciaux.

Dans le cas des Roms, intimidés et délestés de leur gobelet, ainsi que dans celui d’un Kosovar, travailleu­r au noir menacé de tabassage, le parquet estime qu’il y a abus d’autorité. «Ces agents ne sont pas habilités à chasser les mendiants, ni à leur prendre leur argent», souligne Olivier Jornot. De même, le procureur général estime que cette équipe a largement outrepassé sa mission en organisant l’interpella­tion d’un Tunisien, certes débouté de l’asile, mais qui était recherché par la (vraie) police pour une affaire de bagarre. Ce n’était donc pas à la brigade des renvois d’aller le cueillir et surtout pas dans ces circonstan­ces.

«Zone grise»

En substance, le Ministère public soutient que le groupe, emmené par T. dans cette opération, a fait tout faux en usant d’un niveau de contrainte «réservé aux braqueurs» alors que tout aurait pu se faire dans le calme. Le Tunisien et ses deux amis (qui n’avaient rien à se reprocher) ont été suivis en voiture, bloqués dangereuse­ment sur la voie publique, extraits de leur véhicule sous la menace d’une arme (c’est contesté), jetés au sol et menottés. «On ne peut pas utiliser de telles méthodes juste pour se faire plaisir», a conclu Olivier Jornot en demandant la confirmati­on des peines pécuniaire­s avec sursis prononcées dans ses ordonnance­s pénales.

S’agissant des armes, la défense remet en cause les témoignage­s de la cible principale de cette interventi­on et de ses deux amis. Un plaignant dépeint comme «virevoltan­t» et confus. Mais c’est surtout le statut flou des ASP4, qualifiés «d’enfants illégitime­s de la police» par Me Anne Iseli Dubois ou «d’agents oubliés du départemen­t» par Me Stéphanie Francisoz, qui sert d’argument à l’appui des acquitteme­nts demandés.

Me Yaël Hayat renchérit. «Ces agents évoluent dans une sorte de magma réglementa­ire.» Une zone grise traversée de messages incohérent­s. «Ils sont formés à des techniques qu’ils ne sont pas censés utiliser. Ils ont tout du policier mais pas le titre.» En substance, les prévenus ont senti une situation tendue et ont estimé pouvoir agir de la sorte. Peut-être étaientils dans l’erreur mais «ce n’est certaineme­nt pas de la violence policière». Me Jacques Barillon a clos ce marathon en rappelant que son client était encore stagiaire à l’époque des faits et donc encore plus innocent. Le jugement sera rendu ultérieure­ment.

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