AU NOM DE TOUTES CELLES QUI ONT VOULU DIRE NON
Après la révélation de l’affaire Weinstein, en 2017, les journalistes Mathieu Deslandes et Zineb Dryef ont exhumé une histoire bien plus ancienne, dans un village français, où la loi du silence a été opposée au viol de quatre jeunes filles
27 août 1922, soir de bal à Sougy, commune du Loiret – à peine 800 âmes. Durant l’année qui suit, au moins six jeunes femmes accouchent d’un enfant naturel. Octobre 2017, premières révélations sur l’affaire Weinstein. Le journaliste Mathieu Deslandes apprend que son grand-père était l’un de ces enfants illégitimes. «C’était un viol. Un viol à Sougy. A Sougy, cette année-là, quatre filles se sont retrouvées enceintes en même temps. Les gars avaient bu, ils s’en sont vantés, ils étaient tout fiers d’eux. On parle beaucoup de consentement en ce moment, ben je peux te dire qu’elles n’étaient pas consentantes.»
Avec sa compagne, Zineb Dryef, qui travaille alors à la réalisation d’un documentaire sur le consentement sexuel, Mathieu Deslandes décide de recomposer son histoire. Recueillir quelques témoignages, examiner les rares archives… Il remonte le fil des événements de ce soir de fête. Miroir d’une France rurale des années 1920, cette enquête-fiction retrace les destinées de Marie, Andrée, Olga et Alice. Quatre adolescentes qui ont fait face aux regards inquisiteurs et aux commérages villageois. Quatre femmes qui se sont construites avec le souvenir de cette nuit dont elles n’ont jamais parlé. «Combien sommes-nous à avoir une grand-mère qui, un soir de fête, s’est fait violer et n’en a jamais parlé?» Cette histoire, c’est #MeToo au cimetière.
RÉSEAUX SOCIAUX
Entre présent et flash-back, l’ouvrage interroge sur l’évolution de la condition féminine et la libération présumée de la parole. Au final, y a-t-il eu évolution et libération? Notre vision de l’agression sexuelle a-t-elle changé? Gisèle Halimi a-t-elle été entendue lorsqu’elle réclama en 1978 que l’on admette l’évidence: quand une femme dit non, c’est non et ce n’est pas oui? Si les événements de Sougy étaient survenus en 2019, y aurait-il eu des condamnations, des peines de prison, des livres consacrés à ces enfants du viol? Certainement, estime Mathieu Deslandes: médias, réseaux sociaux et vox populi auraient fait grand bruit autour de cette affaire. Pour Zineb Dryef, au contraire, «on aurait fait circuler des photos aguicheuses des filles trouvées sur Tinder… On les aurait traitées de menteuses… On aurait forcément sali une des victimes.»
Aucun jugement: à chacun le droit de se forger sa propre représentation, «nourrie de ses expériences, lectures et images». Goutte d’eau dans l’océan, Soir
de fête offre une toute petite réparation à toutes celles dont la vie a basculé sans qu’elles aient eu le temps de dire non.