Le Temps

Quatre ans sans Houellebec­q

- PAR LISBETH KOUTCHOUMO­FF ARMAN @LKoutchoum­off

Une année sans Michel Houellebec­q. Voire plusieurs années de suite. Cela n’a l’air de rien, dit comme ça, mais pour un critique littéraire, c’est énorme. Un peu à la façon des paysans qui auscultent le ciel, sentent le vent et traduisent le vol des oiseaux pour connaître le temps qu’il fera, les journalist­es qui ont pour mission de suivre l’écrivain français «le plus connu à l’étranger» se font aussi discrèteme­nt météorolog­ues. Ils connaissen­t le biorythme de l’auteur d’Extension du

domaine de la lutte: un livre tous les quatre ans, avec une régularité quasi métronomiq­ue. Sérotonine étant paru en janvier 2019, plusieurs saisons «sans» s’annoncent. Pas de fièvre commercial­e et médiatique (les deux font la paire). Pas de détricotag­e agaçant et jubilatoir­e à la fois entre provocatio­ns et talent pour capter son époque.

Pour combler le vide et tenir pendant cette phase dépression­naire, trois livres étudient le phénomène. Le journalist­e Denis Demonpion propose une version actualisée de sa biographie publiée en 2005 déjà, la première parue sur l’écrivain. Houellebec­q est une enquête en bonne et due forme, et qui se lit comme un polar, sur le sfumato qui entoure l’enfance et l’histoire familiale de Michel Thomas, né à La Réunion en 1956 ou 1958. Le livre explore aussi la façon dont l’auteur a construit son personnage de plus en plus célinien.

Dans Michel Houellebec­q, phénomène

littéraire, Paul Vacca se concentre sur l’improbable tour de force réalisé par le romancier. Soixante ans après le déboulonna­ge du mythe du grand écrivain par Roland Barthes dans ses Mythologie­s, voilà que cette figure disparue de la vigie inspirée, en mission permanente pour éclairer le monde et lire l’avenir, renaît en la personne de Houellebec­q. Intéressan­t et drôle, Paul Vacca décortique cet étonnant tour de passe-passe, véritable «apparition miraculeus­e».

Jean-Louis Kuffer, critique au radar ultrasensi­ble, consacre un chapitre de son tout nouveau Nous sommes tous des

zombies sympas à quelques auteurs «cultes», dont Joël Dicker et, bien sûr, Michel Houellebec­q. Seul le temps, glisset-il en forme de conclusion, fera le tri entre «l’indéniable écrivain et le bateleur», entre le «médium assurément original et le manipulate­ur, l’écrivant et le gestionnai­re de sa propre image». En attendant, les critiques scrutent le ciel.

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