Antje Boetius, une biologiste d’exception pour défendre les océans
La biologiste allemande a plongé dans les abysses et vu le soleil se lever sur la banquise. Elle s’engage aujourd’hui pour la protection de l’environnement. Cette scientifique d’exception vient de se voir remettre le Prix Erna-Hamburger de l’EPFL
«Tout d’un coup, on voit apparaître des lumières: ce sont des organismes bioluminescents. On se croirait sur une autre planète!»
«Quand je serai grande, je serai exploratrice»: nombreuses sont les petites filles à avoir un jour ou l’autre cette idée. Mais de là à la concrétiser… L’Allemande Antje Boetius l’a fait. Enfant, elle s’est passionnée pour les romans d’aventures, 20000 lieues sous les mers et L’Ile au trésor en tête. Devenue adulte, elle a plongé dans les abysses, découvert des organismes méconnus et dirigé des expéditions océanographiques. Un parcours hors du commun qui a récemment valu à cette biologiste le Prix Erna-Hamburger, du nom de la première femme nommée professeure dans une école polytechnique suisse, décerné chaque année depuis 2006 par l’EPFL-WISH Foundation.
On rencontre l’élégante et affable cinquantenaire début novembre dans un bureau de l’EPFL, quelques heures avant la remise de son prix. Penchée sur son ordinateur, elle met à profit un peu de temps libre pour travailler. Cette professeure de l’Université de Brême ne manque pas de responsabilités: depuis deux ans, elle dirige l’Institut AlfredWegener pour la recherche polaire et marine, en Allemagne, et ses quelque 1200 collaborateurs.
Des ours blancs affamés
«Notre institut mène actuellement une campagne en Arctique pour étudier les effets du changement climatique, qui y sont particulièrement marqués, indiquet-elle. Une centaine de chercheurs et de membres d’équipages sont piégés dans les glaces pour une année, à bord du navire Polastern. Ma principale préoccupation concerne leur sécurité. En cette saison, les ours blancs ont faim et ils rôdent sur la banquise.»
Antje Boetius sait de quoi elle parle: elle-même a fait partie – et dirigé, dans certains cas – de nombreuses expéditions océanographiques, notamment dans le Grand Nord. Une expérience qu’elle se remémore avec émerveillement: «Le paysage de la banquise et ses couleurs ne cessent de changer en fonction des heures de la journée, c’est un magnifique spectacle.»
Dans le cadre de ses recherches, l’intrépide biologiste a aussi exploré les profondeurs à bord de submersibles. «Je ne suis jamais allée dans la fosse des Mariannes [atteignant près de 11000 mètres, c’est la fosse océanique la plus profonde connue sur Terre], seulement jusqu’à 4000 mètres de fond», s’excuserait-elle presque. «J’adore ces plongées. On descend progressivement dans une obscurité absolue. Puis tout d’un coup, on voit apparaître des lumières: ce sont des organismes bioluminescents. On se croirait sur une autre planète!»
C’est là que la scientifique a fait ses découvertes les plus fameuses. Cette spécialiste des micro-organismes a notamment décrit l’existence de bactéries capables de se nourrir de méthane, un puissant gaz à effet de serre qui se trouve ainsi piégé dans l’océan, au lieu d’être émis dans l’atmosphère. «Notre planète serait très différente si ces bactéries ne faisaient pas ce travail. C’est fascinant de penser qu’il y a là, au fond des mers, des microbes qui résolvent des problèmes pour nous, sans même que nous en ayons conscience», souligne la chercheuse.
Aux premières loges pour constater la richesse des océans et des régions polaires, mais aussi leur fragilité, Antje Boetius est devenue leur porte-parole. «Les océans fournissent la moitié de l’oxygène que nous respirons et un tiers des protéines que nous consommons. Ils contiennent une énorme diversité de vie et limitent les effets des changements climatiques. Nos existences dépendent de leur bonne santé», martèle l’experte.
Entre conférences, enseignement et interviews, Antje Boetius cherche à sensibiliser la classe politique et le grand public à la protection de l’environnement, ce qui lui a valu de nombreux prix dont la Croix fédérale du mérite, la plus haute distinction civile allemande. «C’est cet engagement dans la société, couplé à des recherches de très grande qualité, qui nous a convaincus de lui remettre le Prix Erna-Hamburger, dont l’objectif est de mettre en avant des modèles de femmes scientifiques» explique Anna Fontcuberta i Morral, professeure en science des matériaux et présidente de l’EPFL-WISH Foundation.
L’accès au savoir
Sensible à la question de l’égalité, Antje Boetius se dit reconnaissante pour cette nouvelle gratification. «Je suis convaincue que la diversité, de genre mais aussi d’origine, a beaucoup de valeur pour la société et doit donc être favorisée. Je ne crois pas à une approche quantitative, passant par l’établissement de quotas, car la recherche scientifique est une affaire de dynamique et elle souffrirait d’être contrainte. Mais un prix comme celui-ci, qui braque les projecteurs sur les femmes en sciences, me semble très positif.»
Alors que les changements climatiques s’accentuent et que les initiatives pour y répondre demeurent timides, quel regard porte-t-elle sur notre planète et son avenir? Antje Boetius se fait grave. «Je suis généralement une optimiste, mais force est de constater que certains bouleversements sont désormais quasi inéluctables. Prenez les coraux: la majeure partie d’entre eux risquent d’avoir disparu d’ici à la prochaine génération. Face à ce type de défis, cela me réconforte d’avoir accès au savoir scientifique et de contribuer à le diffuser.»
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