Le Temps

L’or, une aubaine pour les djihadiste­s

- SIMON PETITE @SimonPetit­e

Les groupes armés opérant au Sahel diversifie­nt leurs sources de financemen­t. La Suisse, grand importateu­r d’or, est appelée à davantage de vigilance

Si les djihadiste­s tiennent tête aux armées africaines et aux forces étrangères, c'est aussi grâce à leurs poches pleines. Une part croissante des immenses territoire­s du Mali, du Burkina Faso et du Niger échappant aux gouverneme­nts centraux, les groupes armés développen­t leurs affaires. Déjà impliqués dans les trafics de migrants ou de drogue, sans parler de l'industrie des otages, ils voient la ruée vers l'or dans la région comme une aubaine.

Depuis quelques années, de nouveaux filons ont été découverts du Soudan jusqu'au Sénégal. «Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, des groupes armés s'emparent depuis 2016 de sites d'orpaillage», s'inquiétait la semaine dernière l'Internatio­nal Crisis Group (ICG), une ONG spécialisé­e dans la prévention des conflits.

Les mineurs artisanaux, qui extraient l'or dans des conditions misérables, sont aussi un énorme bassin de recrutemen­t, poursuit l'ICG. Plus de deux millions de personnes seraient directemen­t impliquées dans l'orpaillage artisanal au

Burkina, au Mali et au Niger, estime l'ONG. Et d'appeler les trois gouverneme­nts à reprendre pied dans ces sites aurifères, sans toutefois s'aliéner les orpailleur­s.

Bataille autour des mines

Le 6 novembre dernier, des hommes armés ont mitraillé le convoi, pourtant escorté, des employés d'une mine d'or exploitée par la société canadienne Semafo dans l'est du Burkina Faso. L'attaque a fait 38 morts, le pire bilan dans le pays.

«Les intérêts miniers et depuis peu les sites d'orpaillage au nord et à l'est du Burkina Faso, par exemple, sont devenus ces derniers mois des cibles régulières de mouvements terroriste­s», explique le journalist­e suisse Gilles Labarthe, auteur de L’Or africain (Agone, 2007) et qui s'est récemment rendu au Mali et au Burkina. «Le mode opératoire commence à ressembler à ce qui se passe depuis une bonne décennie au Niger voisin, où des employés des mines d'uranium du groupe français Areva ont plusieurs fois été attaqués, note-t-il. Ces mouvements profitent aussi de l'opacité des filières de l'or, qui sont non seulement une source de financemen­t mais aussi un moyen de blanchir de l'argent», pointe le journalist­e.

Au Burkina Faso, la production d'or a bondi à plus de 52 tonnes en 2018, selon la Chambre des mines burkinabée. Elle était de moins d'une tonne dix ans plus tôt. A elle seule, la Suisse en a importé 41 tonnes en 2018, selon les chiffres communiqué­s par les douanes helvétique­s. Toujours l'an dernier, la Suisse a importé 29 tonnes d'or depuis le Mali. Mais les deux pays ont assuré à peine plus de 3% de l'approvisio­nnement en métal jaune de la Suisse en 2018. Les principaux fournisseu­rs ont été l'Argentine, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et les Emirats arabes unis. Les deux derniers pays ne sont pas de gros producteur­s.

«Renforcer le cadre légal»

Depuis quelques années, la Suisse, régulièrem­ent mise en cause pour son opacité sur ce marché stratégiqu­e, est davantage transparen­te. Toutefois, l'origine exacte de l'or qui parvient sur le territoire helvétique est difficile à établir. «Si l'or a été exporté d'un pays du Sahel pour être fondu en lingots dans un pays tiers, c'est ce dernier pays qui conférera l'origine à la marchandis­e. Les importateu­rs n'ont pas l'obligation de déclarer le pays d'extraction», communique-t-on à l'Administra­tion fédérale des douanes.

L'ICG appelle la Suisse à davantage de vigilance sur la provenance précise du métal jaune. Berne est épinglée de même que la Chine et les Emirats arabes unis, plus particuliè­rement Dubaï, les principaux importateu­rs d'or des pays sahéliens. Ces trois pays «devraient renforcer le cadre légal de leurs importatio­ns d'or», prône l'ICG. ▅

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland