Hillary Clinton et les trois impeachments
En 1974, en plein Watergate, la New-Yorkaise, alors jeune juriste de 26 ans, avait participé à la rédaction d’un document pour établir les bases juridiques d’une destitution présidentielle
Quel est le point commun entre les procédures d’impeachment contre Richard Nixon (1974), Bill Clinton (1998) et Donald Trump (2019)? Hillary Clinton! C’est elle, qui en 1974, à l’âge de 26 ans, a participé, comme juriste, à la rédaction d’un impeachment memo,à mille lieues de se douter qu’il serait utilisé bien des années plus tard contre son propre mari. Puis contre celui qui lui a infligé une défaite lors de l’élection présidentielle de 2016.
«Trahison, corruption ou autres délits majeurs»
En 1974, en plein scandale du Watergate, Hillary Rodham – elle deviendra Clinton en 1975 – faisait partie d’un groupe bipartisan de juristes, engagés par une commission de la Chambre des représentants, chargés de plonger dans l’histoire de la destitution, en remontant jusqu’à ses racines, en Angleterre, au XIVe siècle. But: établir les motifs qui justifient une destitution. Car la Constitution américaine est très floue. Son article 2 stipule seulement que le président peut-être destitué pour «trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs». Rien de plus. Il fallait donc déterminer ce que «autres crimes et délits majeurs» pouvait regrouper.
Avant Richard Nixon, seul le président Andrew Johnson avait été menacé par un impeachment. Son procès en destitution au Sénat a débuté le 5 mars 1868 et a duré près de trois mois, jusqu’à son acquittement. En 1974, les législateurs étaient un peu démunis face à cette procédure extraordinaire: 1868 était bien loin, et il fallait donc partir à la recherche de bases juridiques pour destituer un président. Mais Richard Nixon a démissionné avant que le Sénat ne donne son verdict. Le fameux mémo a du coup été rapidement oublié. Puis les républicains s’y sont intéressés plus de vingt ans plus tard, avant de lancer une procédure contre Bill Clinton. Ce dernier a lui aussi été acquitté. Et une nouvelle fois, le mémo a été relégué aux oubliettes ou, disons, mis de côté. Jusqu’à ce que Donald Trump et le coup de fil du 25 juillet dernier avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky poussent les démocrates à lancer une procédure d’impeachment.
Ce mémo sert en quelque sorte de mode d’emploi. Intitulé «Motifs constitutionnels pour une destitution présidentielle», il fait 60 pages et pose quelques bases juridiques. Les spécialistes s’accordent à dire que le document n’a pas vraiment vieilli.
«Ça ne s’invente pas»
Lors d’un événement consacré à la promotion de son livre, à Brooklyn, il y a quelques semaines, Hillary Clinton a évoqué sa participation au groupe de travail de 1974 en ces termes: «Je suis bien placée pour connaître les raisons pour lesquelles une procédure d’impeachment doit être menée et je peux vous dire que nous nous trouvons dans une telle situation.» «Ma vie, ça ne s’invente pas», a-t-elle commenté plus récemment, amusée, lors d’un talk-show de Stephen Colbert qui évoquait son lien avec les trois procédures.
En 1997, raconte Politico, les républicains s’étaient déjà intéressés au mémo huit mois avant que le scandale sexuel impliquant une stagiaire de la Maison-Blanche, Monica Lewinsky, n’éclate. Pour des soupçons d’irrégularités financières. A l’époque, le républicain Bob Barr s’en était donné à coeur joie pour «remercier» Hillary Clinton de leur avoir donné la feuille de route qui aurait pu mener à la destitution de son mari. Il s’était même fendu d’une chronique au vitriol dans le
Wall Street Journal, intitulée «Dear Mrs. Clinton».
Retour à la présidence Trump. Cette fois, c’est dès la mi-mai 2017 déjà, juste après le limogeage du patron du FBI, James Comey, par Donald Trump, que la représentante démocrate Zoe Logren a jugé nécessaire de faire apparaître ce mémo dans l’espace public en le rendant facilement accessible sur internet. Et, une nouvelle fois, il fait l’objet d’interprétations diverses. Dans un contexte hautement politisé, 60 pages rédigées en 1974 ne suffisent décidément pas pour mettre tout le monde d’accord sur les raisons qui permettent de lancer une telle procédure. Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants, a d’ailleurs très longuement hésité, consciente que la majorité républicaine au Sénat permettra à Donald Trump d’éviter une destitution. Et de nombreux républicains rangés derrière le président continuent de dénoncer une «chasse aux sorcières» et à considérer la démarche démocrate comme «illégitime». La suite de la procédure risque bien de se dérouler dans une ambiance tout aussi électrique.