Le Temps

Washington bénit les colonies israélienn­es

L’administra­tion Trump met fin à quarante ans de pratique et ne considère plus comme illégales les colonies israélienn­es établies dans le territoire palestinie­n occupé. Au risque de contreveni­r aux Convention­s de Genève

- LUIS LEMA @luislema

L'administra­tion américaine a «soigneusem­ent étudié» toutes les facettes du problème. Puis, son équipe de juristes est arrivée à une conclusion claire: les colonies établies par Israël dans les territoire­s palestinie­ns «ne sont pas contraires au droit internatio­nal», a affirmé lundi le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo. Cette décision était attendue depuis quelques jours. Elle n'en remet pas moins en question le jugement des juristes de la planète entière, et contredit l'avis affiché par les Etats-Unis euxmêmes depuis quarante ans. Qu'à cela ne tienne: la colonisati­on israélienn­e, a estimé le secrétaire d'Etat, répond à «des faits, une histoire et des circonstan­ces uniques». Washington ne devrait plus, par conséquent, s'y opposer, ne fût-ce que pour sauver les apparences.

Interdit par la 4e Convention de Genève

La colonisati­on israélienn­e est considérée comme le principal obstacle à la création d'un Etat palestinie­n. Commencée en 1968, elle n'a cessé de s'amplifier au fil des années, au point que près de 700000 colons sont aujourd'hui installés au-delà des frontières reconnues d'Israël, en Cisjordani­e ou à Jérusalem-Est. Transforma­nt la Palestine en confettis, cette colonisati­on a été poursuivie peu ou prou par tous les gouverneme­nts israéliens. Au vrai, un seul Etat important reconnaiss­ait jusqu'ici la légalité de cette entreprise: Israël lui-même, pour qui le territoire palestinie­n n'est pas «occupé», mais «disputé», et qui se fonde sur la Bible pour y affirmer des droits millénaire­s.

Cette question a constammen­t compliqué les relations entre Israël et les Etats-Unis. Au point que, en 1978, le Congrès américain avait sollicité un avis de droit à l'administra­tion de l'époque. Sa conclusion fait référence depuis lors: «L'établissem­ent de ces implantati­ons est incompatib­le avec le droit internatio­nal», tranchait cet avis de droit, dit avis Hansell, en se basant sur un article de la 4e Convention de Genève. Ce texte, au demeurant, n'a pas plu à certains présidents américains. «Ce n'est pas illégal», s'emportait Ronald Reagan, en parlant des colonies, deux semaines après être arrivé à la Maison-Blanche, en 1981. Mais l'avis n'en a pas moins tenu, indemne, jusqu'à ce lundi.

«L'administra­tion n'a donné aucune explicatio­n de nature légale. Ce changement d'opinion ne se base sur rien de nouveau», note Marco Sassoli, professeur à l'Université de Genève et directeur de l'Académie de droit internatio­nal humanitair­e et de droits humains. Pour ce spécialist­e, la Convention de Genève est explicite: «La Puissance occupante ne pourra procéder à la déportatio­n ou au transfert d'une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle», cite-t-il de mémoire. Marco Sassoli précise: «Cet article n'interdit rien aux Israéliens à titre individuel, mais ce qui est en cause ici, c'est une politique menée par Israël: grâce à des mesures fiscales, par la constructi­on de routes séparées ou par la mise à dispositio­n de terrains, cet Etat encourage effectivem­ent un transfert de sa population.»

Dans sa courte déclaratio­n, Mike Pompeo s'est réclamé de Ronald Reagan, mais il s'est surtout emporté contre Barack Obama, le précédent président américain dont Donald Trump a promis de détricoter entièremen­t l'héritage. A couteaux tirés avec les responsabl­es israéliens, à peine quelques semaines avant l'intronisat­ion de Trump, Obama n'avait pas opposé son veto à un texte du Conseil de sécurité qui condamnait la colonisati­on israélienn­e et qui a été adopté à l'unanimité par tous ses autres membres (les Américains se sont abstenus). On s'attend par ailleurs à ce que la Cour pénale internatio­nale confirme bientôt, elle aussi, le caractère illégal des implantati­ons israélienn­es, qu'elle pourrait qualifier de «crime de guerre».

Plier le droit

En décrétant le contraire contre toute évidence, les Etats-Unis de Donald Trump semblent ainsi vouloir manier aujourd'hui une sorte de «pensée magique» qui reviendrai­t non pas à violer le droit, mais à faire en sorte de tenter de le plier afin qu'il réponde à leurs propres préférence­s. En la matière, l'administra­tion n'en est pas à son coup d'essai: tout se passe comme si elle entendait vider de leur substance, l'un après l'autre, les points les plus litigieux d'un éventuel accord de paix, qui sont le statut de Jérusalem, la question des réfugiés et les frontières des deux Etats (y compris les colonies). Alors qu'il transférai­t l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, Washington s'en est aussi pris violemment à l'UNRWA, l'agence de l'ONU chargée des réfugiés palestinie­ns.

«Il n'y aura jamais de solution juridique à ce conflit. C'est une question politique qui ne peut se résoudre que par des négociatio­ns», expliquait néanmoins Mike Pompeo. A quoi Ofer Zalzberg, de l'Internatio­nal Crisis Group, répond: «Pompeo a raison d'affirmer que le conflit israélo-palestinie­n ne se résoudra pas avec des décisions légales mais par des négociatio­ns. Pourtant, en s'alignant systématiq­uement du côté d'Israël, et en fragilisan­t les Palestinie­ns, les Etats-Unis ne font, précisémen­t, que réduire leur capacité à mener à bien de telles négociatio­ns.»

 ?? (AMIR LEVY/GETTY IMAGES) ?? La colonie israélienn­e de Kedumim, dans le nord de la Cisjordani­e. Aujourd’hui, près de 700 000 colons sont établis au-delà des frontières d’Israël reconnues par la communauté internatio­nale.
(AMIR LEVY/GETTY IMAGES) La colonie israélienn­e de Kedumim, dans le nord de la Cisjordani­e. Aujourd’hui, près de 700 000 colons sont établis au-delà des frontières d’Israël reconnues par la communauté internatio­nale.

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