Campione d’Italia, paradis perdu
Avec l’entrée dans le territoire douanier européen, l’enclave italienne sur sol helvétique, qui agonise depuis la fermeture de son casino, craint le pire
Sous la pluie, pas un chat sur sa promenade le long du lac Ceresio, Campione d’Italia est triste. Un an et demi après la faillite de sa maison de jeu, poumon économique de l’enclave italienne en territoire suisse, les bannières «Sauvons le casino», «Redonnez-nous nos emplois» sont toujours accrochées çà et là devant la structure monumentale construite par Mario Botta qui gît, vide et insignifiante.
En revanche, la Galleria civica, une église désacralisée datant de 777, est pleine à craquer. Résidents et journalistes sont venus en nombre à la conférence de presse du Comitato civico, mobilisé pour sauver l’enclave. Devant l’assemblée, Roberto Canesi, le président du comité, décrit les «conséquences catastrophiques probables» de l’inclusion de la commune italienne de 2000 habitants dans le territoire douanier de l’Union européenne, prévue dès le 1er janvier 2020. Pour mémoire, celle-ci avait été demandée par l’Italie en juillet 2017, «les raisons historiques justifiant l’exclusion de Campione, notamment l’isolement et les désavantages économiques, n’étant plus pertinentes».
«Avant que la directive de Bruxelles n’entre en vigueur, des accords doivent être trouvés avec la Suisse», insiste Roberto Canesi.
Car plusieurs services jusqu’à présent assurés par le Tessin – envers qui l’enclave a quelques millions de francs de dettes – disparaîtront. Par exemple, le bureau de poste de Campione cessera ses activités dès janvier. «Cela veut dire que 70% de notre courrier, arrivant de Suisse, passera d’abord par Côme. Une absurdité!»
Les services téléphoniques et internet seront également interrompus, poursuit Roberto Canesi. Même chose pour l’assurance maladie. La collecte des déchets et l’approvisionnement en électricité devront être repensés, sans qu’on sache comment. Quant aux plaques d’immatriculation, une période de transition de six mois est prévue.
Des douanes fixes entre Campione
et Bissone, la commune tessinoise voisine, ne sont pas envisagées, mais des douaniers suisses et italiens effectueront des contrôles. Roberto Canesi et ses collègues redoutent que les douanes soient un obstacle à la réouverture du casino – «laquelle est indispensable», martèle-t-il –, pouvant gêner les éventuels clients. Enfin, une taxe de 8% sur les produits de consommation sera imposée aux résidents, déjà en difficulté financière.
Au bar Campione, après la conférence, les esprits sont chauffés à blanc. Il y a qui veut se mobiliser en mode «gilets jaunes», qui veut l’annexion à la Suisse. Un ancien chef de la police rappelle qu’en 1944, la Suisse a protégé Campione d’Italia des fascistes. «Si elles le souhaitaient, les autorités helvétiques pourraient intervenir en notre faveur.» Un secrétaire communal retraité fait valoir la «stupidité» de l’administration italienne, estimant que depuis la fermeture de la poule aux oeufs d’or qu’était le casino, elle a perdu au moins 20 millions d’euros de taxes.
La semaine dernière, les citoyens de la commune sont descendus dans la rue pour crier qu’ils ne voulaient pas de leur inclusion dans le territoire douanier européen et réclamer que celle-ci «soit suspendue ou, au moins, prorogée». Ils ont par ailleurs récolté 1605 signatures contre la directive, qu’ils ont envoyées à Rome.
Depuis le 28 juillet 2018, non seulement les 487 collaborateurs du casino ont perdu leur gagnepain, mais de plus, l’école enfantine, l’EMS et l’office du tourisme de Campione ont fermé. Les fonctionnaires communaux sont passés d’une centaine à quinze, les policiers de vingt à deux, la plupart ne recevant pas de salaire depuis plus d’un an. Une banque alimentaire a été mise sur pied, des évacuations d’habitants incapables de payer leur loyer ou leur hypothèque sont survenues. D’ailleurs, les cartons pour vendre ou louer appartements et commerces foisonnent dans les rues de l’enclave, la valeur de l’immobilier ayant chuté de 30 à 40%. Bref, on est bien loin du petit paradis qui suscitait l’envie des Tessinois, pour ses allures de mini-Monte Carlo, il y a à peine quinze ans.
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Un secrétaire communal retraité fait valoir la «stupidité» de l’administration italienne