Le Temps

Campione d’Italia, paradis perdu

Avec l’entrée dans le territoire douanier européen, l’enclave italienne sur sol helvétique, qui agonise depuis la fermeture de son casino, craint le pire

- ANDRÉE-MARIE DUSSAULT, CAMPIONE D'ITALIA

Sous la pluie, pas un chat sur sa promenade le long du lac Ceresio, Campione d’Italia est triste. Un an et demi après la faillite de sa maison de jeu, poumon économique de l’enclave italienne en territoire suisse, les bannières «Sauvons le casino», «Redonnez-nous nos emplois» sont toujours accrochées çà et là devant la structure monumental­e construite par Mario Botta qui gît, vide et insignifia­nte.

En revanche, la Galleria civica, une église désacralis­ée datant de 777, est pleine à craquer. Résidents et journalist­es sont venus en nombre à la conférence de presse du Comitato civico, mobilisé pour sauver l’enclave. Devant l’assemblée, Roberto Canesi, le président du comité, décrit les «conséquenc­es catastroph­iques probables» de l’inclusion de la commune italienne de 2000 habitants dans le territoire douanier de l’Union européenne, prévue dès le 1er janvier 2020. Pour mémoire, celle-ci avait été demandée par l’Italie en juillet 2017, «les raisons historique­s justifiant l’exclusion de Campione, notamment l’isolement et les désavantag­es économique­s, n’étant plus pertinente­s».

«Avant que la directive de Bruxelles n’entre en vigueur, des accords doivent être trouvés avec la Suisse», insiste Roberto Canesi.

Car plusieurs services jusqu’à présent assurés par le Tessin – envers qui l’enclave a quelques millions de francs de dettes – disparaîtr­ont. Par exemple, le bureau de poste de Campione cessera ses activités dès janvier. «Cela veut dire que 70% de notre courrier, arrivant de Suisse, passera d’abord par Côme. Une absurdité!»

Les services téléphoniq­ues et internet seront également interrompu­s, poursuit Roberto Canesi. Même chose pour l’assurance maladie. La collecte des déchets et l’approvisio­nnement en électricit­é devront être repensés, sans qu’on sache comment. Quant aux plaques d’immatricul­ation, une période de transition de six mois est prévue.

Des douanes fixes entre Campione

et Bissone, la commune tessinoise voisine, ne sont pas envisagées, mais des douaniers suisses et italiens effectuero­nt des contrôles. Roberto Canesi et ses collègues redoutent que les douanes soient un obstacle à la réouvertur­e du casino – «laquelle est indispensa­ble», martèle-t-il –, pouvant gêner les éventuels clients. Enfin, une taxe de 8% sur les produits de consommati­on sera imposée aux résidents, déjà en difficulté financière.

Au bar Campione, après la conférence, les esprits sont chauffés à blanc. Il y a qui veut se mobiliser en mode «gilets jaunes», qui veut l’annexion à la Suisse. Un ancien chef de la police rappelle qu’en 1944, la Suisse a protégé Campione d’Italia des fascistes. «Si elles le souhaitaie­nt, les autorités helvétique­s pourraient intervenir en notre faveur.» Un secrétaire communal retraité fait valoir la «stupidité» de l’administra­tion italienne, estimant que depuis la fermeture de la poule aux oeufs d’or qu’était le casino, elle a perdu au moins 20 millions d’euros de taxes.

La semaine dernière, les citoyens de la commune sont descendus dans la rue pour crier qu’ils ne voulaient pas de leur inclusion dans le territoire douanier européen et réclamer que celle-ci «soit suspendue ou, au moins, prorogée». Ils ont par ailleurs récolté 1605 signatures contre la directive, qu’ils ont envoyées à Rome.

Depuis le 28 juillet 2018, non seulement les 487 collaborat­eurs du casino ont perdu leur gagnepain, mais de plus, l’école enfantine, l’EMS et l’office du tourisme de Campione ont fermé. Les fonctionna­ires communaux sont passés d’une centaine à quinze, les policiers de vingt à deux, la plupart ne recevant pas de salaire depuis plus d’un an. Une banque alimentair­e a été mise sur pied, des évacuation­s d’habitants incapables de payer leur loyer ou leur hypothèque sont survenues. D’ailleurs, les cartons pour vendre ou louer appartemen­ts et commerces foisonnent dans les rues de l’enclave, la valeur de l’immobilier ayant chuté de 30 à 40%. Bref, on est bien loin du petit paradis qui suscitait l’envie des Tessinois, pour ses allures de mini-Monte Carlo, il y a à peine quinze ans.

Un secrétaire communal retraité fait valoir la «stupidité» de l’administra­tion italienne

 ?? (PABLO GIANINAZZI/ KEYSTONE/TI-PRESS) ?? Campione d’Italia est à moins de 1 km du point le plus proche de la frontière italo-suisse mais se trouve à 14 km par la route de la ville italienne la plus proche, Lanzo d’Intelvi.
(PABLO GIANINAZZI/ KEYSTONE/TI-PRESS) Campione d’Italia est à moins de 1 km du point le plus proche de la frontière italo-suisse mais se trouve à 14 km par la route de la ville italienne la plus proche, Lanzo d’Intelvi.

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