Le Temps

Contre le discours de haine, #jesuislà

- PAOLA ROULET ADMINISTRA­TRICE DU GROUPE #JESUISLÀ

De nos jours, nombreux sont celles et ceux qui, notamment chez les jeunes génération­s, se renseignen­t et s'informent sur la Toile. Ce qui y est publié peut, dans bien des cas, forger l'opinion publique. Le web est un immense puits d'informatio­ns et de connaissan­ces, il peut être un outil merveilleu­x mais il risque aussi, malheureus­ement, d'être un puissant outil de désinforma­tion, tant il est parfois compliqué de trier le vrai du faux au milieu de la masse de ressources consultabl­es.

De plus, en fréquentan­t un peu les réseaux sociaux et internet en général, il est pratiqueme­nt impossible d'éviter d'être confronté à de multiples reprises à des messages haineux. L'anonymat et le flou juridique autour des propos délictueux sur le web rendent certains intervenan­ts beaucoup plus virulents et hargneux qu'ils ne le seraient ouvertemen­t dans la vraie vie, déshumanis­ant ainsi leurs interlocut­eurs. Face à cette haine, on peut souvent se sentir bien impuissant et ne pas savoir comment répondre, craindre de se faire agresser rien qu'en exprimant une opinion bienveilla­nte, ou simplement en fournissan­t des informatio­ns sourcées remettant en question des fake news.

Face à ce triste constat, certains internaute­s ont décidé de se regrouper afin d'agir et de mettre fin à l'expansion de la haine sur les réseaux sociaux. Cette idée a germé en 2016 dans l'esprit de Mina Dennert, journalist­e suédoise qui est à l'origine du mouvement et qui a créé le groupe suédois #jagärhär, regroupant actuelleme­nt 75000 membres environ. D'autres pays ont suivi, tels que l'Allemagne (#ichbinhier, 45000 membres). Au début de l'année 2019, la version francophon­e a vu le jour sous le hashtag #jesuislà et elle compte déjà près de 5000 membres.

De nombreuses études démontrent que la lecture des commentair­es change la perception d'un article chez son lecteur. C'est la raison pour laquelle plusieurs groupes organisés distillent haine et désinforma­tion en profitant des algorithme­s pour être les plus visibles sous les articles de presse: de cette manière, ils peuvent influencer la masse silencieus­e qui lit les commentair­es et peut penser que, parce qu'un message est répété plusieurs fois, il correspond à la réalité. Les réseaux sociaux sont donc devenus un formidable outil de propagande, l'important n'étant pas forcément qu'une informatio­n soit réelle et prouvée, mais d'avoir les moyens de la propager, et de convaincre le plus grand nombre de personnes possible qu'elle exprime la réalité.

Il est assez impression­nant de voir à quel point une fake news peut prendre de l'ampleur grâce à des clics et des partages. Examiner ces fonctionne­ments, tenter d'en comprendre les rouages, réfléchir à comment contrer cette manipulati­on de masse est donc essentiel, car le jeu des groupuscul­es haineux est un jeu dangereux – mais bigrement efficace. Seul face à ce constat, il est très difficile d'agir…

Mais, puisque l'union fait la force, rejoindre des mouvements comme #jesuislà permet de prendre conscience que, grâce à un système organisé et à un nombre de membres assez important, il est possible de devenir une épine, de plus en plus grosse, dans le pied des organisati­ons haineuses.

Pour atteindre cet objectif, le groupe #jesuislà fonctionne avec les mêmes outils que les groupes malveillan­ts. Les membres commentent de façon bienveilla­nte et étayée sous les parutions polémiques, puis vont liker ces commentair­es mesurés afin de les faire remonter grâce aux algorithme­s, les rendant ainsi visibles pour tout lecteur. Le but n'est pas de chercher à convaincre à tout prix, ni de répandre une pensée unique, mais bien de ne pas laisser une place aussi importante aux haineux de tous bords.

Le groupe est composé de personnes aux idées politiques, confession­s et origines variées, qui se rejoignent sur la même envie qu'un dialogue, un échange d'idées sans haine soient possibles sur les réseaux sociaux. Chaque graine plantée contre la haine peut grandir, permettant ainsi un changement dans le paysage internet… Et les planteurs de graines sont, heureuseme­nt, de plus en plus nombreux!

Les réseaux sociaux sont donc devenus un formidable outil de propagande

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