La plus belle des fleurs de l’hiver
Disney donne une suite somptueuse à «La Reine des neiges». La princesse Elsa, sa soeur Anna ainsi qu’Olaf le bonhomme de neige reviennent dans un film merveilleusement givré et aux couleurs de l’été indien
Disney a été dépassé par le succès de La Reine des neiges. Ce film d’animation a rapporté quelque 1,3 milliard de dollars et ramené le personnage de la princesse dans le coeur de toutes les petites filles. Ce triomphe ne pouvait rester sans suite. Les décideurs ont toutefois pris le temps de soigner leur projet. Le second chapitre du conte hivernal n’est pas un produit bâclé destiné au marché vidéo, mais une oeuvre d’une qualité égale, voire supérieure à la première.
Du sublime conte de Hans Christian Andersen, dont Walt Disney a vainement rêvé des années durant, il ne reste dans l’adaptation de 2013 que trois éléments: une reine, de la neige, un renne. On les retrouve dans La Reine des neiges II, dont le scénario original tire du côté de l’heroic fantasy, sans s’affaler dans les clichés du genre.
Ancienne malédiction
Une voix lointaine perturbe Elsa. Quelle est cette modulation étrange, cet appel monté du passé? Quand les quatre éléments se déchaînent sur Arendelle, forçant les habitants à l’exode, la princesse comprend qu’une mission lui est assignée: il y a une fêlure à réparer dans l’ordre du monde. Avec pour tout bagage une berceuse ancienne évoquant la rivière Ahtohallan, avec pour toute escorte sa soeur Anna, le brave Kristoff et Sven le renne, sans oublier Olaf le bonhomme de neige, elle entre dans la forêt enchantée que scelle une malédiction.
Gardée par quatre menhirs, la taïga évoque quelque Uluru de brume. Elsa ayant dissipé la nébulosité, ils s’aventurent là où dorment les forces fondamentales. Ils réveillent l’esprit du feu qui, une fois qu’on a soufflé la flamme, s’avère une adorable petite salamandre que tous les enfants voudront pour amie de peluche. Ils rencontrent le peuple premier, les Northuldra, l’équivalent des Samis, victimes d’une forfaiture ancienne. Elsa doit aller plus loin vers le nord, remonter l’Ahtohallan jusqu’à sa source obscure.
Corolles nivéales
Les brillants réalisateurs et scénaristes de La Reine des neiges ont été rappelés. Nouvelle patronne de l’animation chez Disney, Jennifer Lee a scénarisé les excellents Zootopie et Les Mondes de Ralph. Elle retrouve l’animateur Chris Buck, qui a collaboré à La Petite Sirène, Tarzan ou Pocahontas, pour refaire des prodiges.
En 2013, Disney avait mis au point des logiciels sophistiqués permettant de générer des flocons par milliers, de traduire la légèreté ou la lourdeur de la neige, l’opacité et la transparence des fleurs de l’hiver. Ces outils ont encore été perfectionnés, ils dessinent des corolles nivéales, des girandoles de givre, des guipures irréelles, des cristallisations insensées dont la dimension presque psychédélique suscite l’émerveillement. Par ailleurs, le film s’impose une contrainte audacieuse: l’action se situe avant la première neige, dans une forêt qu’embrasent les couleurs de l’automne.
Andersen s’est éclipsé. Sa mélancolie persiste, mêlée à la solennité de Tolkien à laquelle aspire le film. Elsa a pour monture un cheval fait d’eau. Cette superbe cavale dont la crinière se défait en gouttelettes quand elle s’ébroue renvoie à la «cavalerie de vagues empanachées» qu’Arwen invoque au gué de Rivendell. Anna rallie à sa cause les géants de pierre, de lourds titans rappelant les trois trolls pétrifiés dans Bilbo le Hobbit ainsi que les statues des anciens rois de l’Argonath. Les auteurs égrènent ces motifs avec une grâce dont Peter Jackson semble désormais dépourvu.
Portée par de majestueuses chansons, de nouveau composées par Kristen Anderson-Lopez et Robert Lopez, la quête d’Elsa doit autant aux sagas nordiques qu’à la psychanalyse. Le pouvoir de la jeune femme grandit, ses responsabilités aussi. Elle affronte des éléments déchaînés, les vagues gigantesques d’une mer ténébreuse et les fantômes du passé pour que son destin, grandiose et solitaire, s’accomplisse. Film initiatique, La Reine des neiges II célèbre le courage et l’amitié avec une ferveur susceptible d’attendrir les coeurs les plus secs.
L’humour conserve sa place dans cette féerie d’arrière-saison. Le rôle du clown échoit naturellement à Olaf. Bavard impénitent à tête amovible, il va carotte au vent son bonhomme (de neige) de chemin. Il fait montre d’une admirable couardise, égrène les âneries sans reprendre son souffle et accède à la grâce du nonsense lorsqu’il tend les mains pour se réchauffer à un feu… sculpté dans la glace!
La dimension métaphysique incombe à cette âme neigeuse: «Le fait que rien ne soit permanent t’inquiète-t-il?» demande l’éphémère créature. Lorsque se rompt le sort qui préserve son intégrité corporelle, il se désintègre, retourne en souriant à la poussière… Ne pleurez pas, les enfants: même la mort est temporaire au royaume des neiges éternelles!
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Andersen s’est éclipsé. Sa mélancolie persiste, mêlée à la solennité de Tolkien à laquelle aspire le film