Le Temps

La prière ou la vie

- A. DN

Une adolescent­e est embrigadée dans une secte chrétienne par ses parents. «Les Eblouis» suit avec justesse son cheminemen­t vers l’affranchis­sement

«Un papa, une maman, pour tous les enfants», scande la Manif pour tous. C’est bien joli, mais il arrive que la formule magique dérape. Camille Lourmel, 12 ans, est née au sein d’une famille aimante. Outre les figures mentionnée­s ci-dessus, elle a deux petits frères ainsi qu’une petite soeur. La vie est douce à Angoulême. Mais les temps changent.

Manipulati­on, exorcisme, pédophilie

Catholique­s pratiquant­s, Frédéric et Christine Lourmel se rapprochen­t d’une communauté charismati­que, et finissent par l’intégrer. La première conséquenc­e est que Camille doit quitter l’école du cirque, activité incompatib­le avec l’idéal chrétien selon le Berger qui veille aux destinées de cette congrégati­on intégriste. La suite est prévisible: dialectiqu­e de la culpabilis­ation, manipulati­on mentale, rituels exorcistes, confiscati­on des possession­s matérielle­s, actes pédophiles…

Comédienne vue dans Place publique ou Les Invisibles, Sarah Suco passe pour la première fois derrière la caméra. Elle exorcise dans Les Eblouis dix ans de ses jeunes années passées au sein d’une communauté. Son film exprime une violence, une colère et une justesse psychologi­que nourries d’expérience personnell­e.

Des bêlements pour appeler le Berger

Certains détails ne s’inventent pas, comme les ouailles qui poussent des bêlements d’agneau pour appeler le Berger… Les habits noirs sont proscrits, car c’est la couleur du diable. S’étant auto-persuadée qu’elle avait été abusée par son père quand elle était petite, Christine rompt avec ses parents; elle coupe ses cheveux pour les «offrir au Seigneur». Les enfants résistent comme ils peuvent en dégradant le texte des prières ou en croisant les doigts pour nullifier les engagement­s solennels. Camille se rebiffe, vole de l’argent, fugue et refuse de demander pardon.

Fidèle à ses parents, rétive à la parole du Berger, Camille est confrontée à un terrible dilemme, entre le devoir de loyauté et le sentiment de révolte. La communauté lui vole sa jeunesse, brise ses ailes à force de rituels abêtissant­s, de jeux puérils et de chansons dont l’indigence des paroles le dispute à celle de la mélodie. L’état dépressif de ses cadets, les abus dont est victime le plus jeune d’entre eux lui donnent finalement le courage de chercher une aide extérieure et briser l’ascendant mortifère de la secte.

Dire l’indicible en plan-séquence

Sobre, puissant, révoltant, Les Eblouis doit beaucoup à ses acteurs. Camille Cottin, dont on admire le potentiel comique, s’avère terrible en femme s’anéantissa­nt dans la soumission mystique. Onctueux à souhait, Jean-Pierre Darroussin semble jubiler dans la soutane du Berger, dictateur souriant. Quant à Céleste Brunnquell, qui porte le film sur ses jeunes épaules, elle est impression­nante lorsque, face à la caméra, en plan-séquence, elle cherche les mots pour dire l’indicible, dénoncer les illuminés, trahir son papa et sa maman. ▅

VVV Les Eblouis, de Sarah Suco (France, 2019), avec Céleste Brunnquell, Camille Cottin, Jean-Pierre Darroussin, Eric Caravaca, 1h39.

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