Le Temps

IMPEACHMEN­T: DES AUDITIONS PUBLIQUES DÉVORANTES

NOTRE CORRESPOND­ANTE AUX ÉTATS-UNIS FAIT ÉTAT DES DIFFICULTÉ­S À RENDRE INTELLIGIB­LES LES TÉMOIGNAGE­S POUR UN PUBLIC ÉTRANGER

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Commençons par la fin: le dernier mot reviendra au Sénat et Donald Trump risque fort d’échapper à la destitutio­n, le scénario de voir 20 sénateurs républicai­ns lui tourner le dos paraissant à ce stade aussi improbable que de voir un végane devenir subitement carnivore. Comment dès lors intéresser le public avec des auditions très détaillées sur une complexe affaire ukrainienn­e? Comment retranscri­re de façon claire, pour des lecteurs étrangers, la substantif­ique moelle des témoignage­s qui se déroulent pendant des heures, parfois des journées entières? Le vertige guette. Une certaine fébrilité, parfois aussi.

Que l’on soit clair: les auditions publiques qui se déroulent à la Chambre des représenta­nts sont passionnan­tes pour qui suit la politique américaine de près. Tout tourne essentiell­ement autour du coup de fil du 25 juillet entre Donald Trump et son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky. Il s’agit de déterminer à quel point le président américain a fait pression – et comment – pour obtenir que Kiev enquête sur le fils de Joe Biden, candidat démocrate à la présidenti­elle de 2020. Les démocrates parlent de «trahison»; les républicai­ns accusent les démocrates de mener une «chasse aux sorcières». L’Amérique est plus divisée que jamais. Ces impeachmen­t

hearings ont tous les ingrédient­s d’un feuilleton de politique spectacle haletant: des zones grises, du drame, des émotions, du suspense, des attaques verbales haineuses, des contradict­ions et des feuilles qui tremblent. Il faut aussi relever que des témoins, collaborat­eurs au sein d’une Maison-Blanche qui a tenté d’empêcher des comparutio­ns, affichent un courage incroyable qui pourrait leur causer des ennuis pour la suite de leur carrière dans l’administra­tion Trump.

C’est bien à un moment unique de l’histoire américaine auquel nous assistons. Et puis, 2019 n’est pas 1974. En 1974, la procédure d’impeachmen­t contre Richard Nixon, qui a fini par démissionn­er avant une éventuelle destitutio­n, n’était pas polluée par les réseaux sociaux. En 2019, le président des Etats-Unis n’hésite pas, en pleines auditions, à dégommer en direct des témoins, via son arme de communicat­ion massive préférée: Twitter. Du jamais-vu.

«VOUS PASSEZ SOUS SILENCE»

Pour la correspond­ante d’un journal étranger, le défi est donc multiple. Il s’agit d’abord de ne pas perdre le lecteur dans les méandres de l’affaire ukrainienn­e. L’étouffemen­t menace. On s’y perd parfois un peu soi-même lorsque l’on assiste à des considérat­ions du type: «W a-t-il vraiment déclaré à X que Y aurait entendu Z dire que Donald Trump aurait pu avoir fait un lien direct entre une aide miliaire américaine de 400 millions de dollars à Kiev et une enquête sur les Biden?» Pourtant, dans une affaire comme celle-ci, ce sont précisémen­t les détails qui comptent.

En même temps, trop sélectionn­er, se montrer trop concise, nous vaut des lettres de lecteurs nous accusant de partialité. Comme celle-ci, venue tout droit de Miami Beach: «Vous dites que vous n’êtes pas partisane alors que, en réalité, votre papier est un brûlot partisan de gauche. Vos attaques à l’encontre du Parti républicai­n sont inadmissib­les […]. Par contre, vous passez sous silence toutes les actions illégales initiées par le Parti démocrate et que les médias européens passent en général sous silence de manière totalement hypocrite.» Plonger dans ces auditions, c’est ouvrir la boîte de Pandore. Ensuite, les suivre avec attention est une chose. Mais il faut également sans cesse lorgner les réseaux sociaux, et plus particuliè­rement surveiller le compte d’un certain @realDonald­Trump. Les hearings sont disséqués et interprété­s en direct, parfois par des témoins clés de l’affaire. Les jeux de pression et de manipulati­on sont à leur niveau maximal. La procédure d’impeachmen­t cuvée 2019 n’a décidément rien d’ordinaire.

 ??  ?? Jennifer Williams et Alexander Vindman lors d’une audition.
Jennifer Williams et Alexander Vindman lors d’une audition.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland