Le Temps

A Genève, deux scénarios pour une affaire criminelle exceptionn­elle

JUSTICE Jugé pour avoir tué sa voisine, l’employé de voirie a-t-il agi froidement ou sous le coup d’une colère non maîtrisée? Dernières passes d’armes pour clore un procès marqué par l’ombre de l’agent 55

- FATI MANSOUR @fatimansou­r Le prévenu à son procès. * Prénom d’emprunt.

José* est-il «cet homme au coeur de pierre» que le procureur Endri Gega voudrait voir puni de la perpétuité et aussi neutralisé par un internemen­t? La défense de l’employé de voirie, accusé d’avoir cruellemen­t supprimé sa voisine pour lui prendre ses économies, propose une tout autre lecture à la Chambre pénale d’appel et de révision. Me Yaël Hayat décrit un être débordé par des émotions contradict­oires et emporté par une vieille colère. «Il n’a pas agi à froid.»

«Paulo a menti»

Dans ce dossier regorgeant de détails sordides, le Ministère public n’a eu aucune peine à trouver des éléments pour dépeindre «une personnali­té qui fait froid dans le dos». José, l’enfant qui découpait des oiseaux vivants pour voir battre leur coeur. José, l’adolescent qui abusait de ses soeurs. José, l’adulte obsédé par l’argent qui cachait des billets partout. José, le voisin qui a attaché Nicole sur une chaise en lui disant de rester sage, qui a ensuite tué cette septuagéna­ire, jeté son corps sur le bord d’une route isolée avant d’y mettre le feu, une semaine plus tard, à l’aide de 15 litres de diesel. Enfin, José le prévenu qui conteste tout et brouille les pistes avant d’être confondu par un agent infiltré à Champ-Dollon.

Pas de quoi décourager Me Hayat qui décortique les éléments permettant de nuancer la noirceur de cette affaire. Un crime très improvisé, un mobile financier qui ne tient pas vraiment la route, une relation d’amitié sincère avec «madame Nicole», un esprit maléfique qui garde pourtant chez lui les affaires volées à sa victime. Et surtout, cet agent 55, plus connu sous le nom de Paulo, qui «défigure» José en l’attirant dans ce rôle de taulard au langage cru et aux exploits exagérés. Pire. La défense est convaincue que le policier sous couverture ment lorsqu’il dit que José a mimé à son intention le geste de l’étrangleme­nt. Sinon, pourquoi aurait-il attendu une année pour faire état de cet élément crucial qui ne figure pas dans son rapport intermédia­ire?

Les retranscri­ptions des parloirs révèlent aussi que José n’évoque jamais l’argent de

Nicole, relève la défense. En revanche, on entend le prévenu faire sans cesse le rapprochem­ent avec sa mère qui le traitait «tellement mal». Il dit avoir tué la retraitée avec ses mains? «Bien sûr qu’il l’a tuée avec les mains. Il l’a poussée violemment», souligne Me Hayat. Un homicide par négligence, voire un meurtre par dol éventuel, conclut l’avocate en rappelant que la suite terrible des événements ne doit pas influencer le regard porté sur l’acte lui-même.

«Version fantaisist­e»

Une version fantaisist­e, rétorque Me Lorella Bertani, conseil du frère de la victime (la soeur a fait une attaque lors du premier procès et est décédée depuis). La partie plaignante estime que José est un très grand manipulate­ur, un menteur patenté et qu’il faut écarter son récit édulcoré. «Il n’a eu aucun respect pour Nicole, ni pour sa vie ni pour sa mort.»

Pour cette affaire, le procureur Gega a des mots sévères. «Cet assassinat et tout ce qui l’entoure justifient à n’en pas douter le prononcé d’une peine privative de liberté à vie. On ne peut imaginer pire comme activité criminelle.» Le mobile financier ne fait pas de doute à ses yeux: «Il vous revient de dire qu’il n’y a plus de place pour cet égoïsme-là et de rendre sa dignité à Nicole.»

Cette peine excessive, «sorte de mouvement d’humeur d’un procureur revanchard», et cette mesure d’internemen­t inadaptée, ce n’est pas ça rendre la justice, s’insurge Me Hayat. Son client, 53 ans, devra patienter jusqu’à vendredi pour connaître la conviction des juges.

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(CECILIA BOZZOLI POUR LE TEMPS)

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