Sandrine Cina, des start-up pour abolir les inégalités de genre
Du haut de ses 33 ans, elle souhaite reconstruire le modèle de la jeune pousse sociale en Suisse et encourager les jeunes à se lancer dans des projets entrepreneuriaux liés au genre et à l’orientation sexuelle
«Dans le milieu de l’égalité de genre, il n’y a quasiment que des femmes et, à l’inverse, dans celui des start-up, j’étais souvent la seule femme»
Comme un retour aux sources, c’est entre les murs de l’espace de coworking 105 Voisins à Genève qu’on retrouve Sandrine Cina. La jeune femme de 33 ans explique que c’est ici qu’a eu lieu en avril dernier le lancement de Bøwie, l’incubateur de projets dans le domaine du genre qu’elle a fondé. Difficile de deviner le succès de cette dernière derrière la modestie de la jeune femme, et pourtant: l’entrepreneuse, qui vient de recevoir le Young Alumna Award (IHEID) pour son action, et qui a été invitée au World Economic Forum de Davos en 2015, aurait de quoi se vanter.
Née en 1986, elle grandit à Veyras, en Valais. Chez elle, l’engagement social et le militantisme ne font pas vraiment partie de l’ethos familial. A 19 ans, elle commence un bachelor en sciences politiques à l’Université de Genève (Unige) et rejoint l’Association des étudiants en science politique et relations internationales Aespri. Elle participe alors à l’organisation du premier Forum du militantisme de l’association, une anecdote qu’elle trouve cocasse lorsqu’elle repense à son éducation en Valais. «A 19 ans, je suis devenue cette personne-là, celle qui a toujours des flyers dans le sac», explique-t-elle, un sourire au coin des lèvres.
La découverte de l’engagement
Ce sera une simple affiche placardée sur les murs de l’Unige, sur laquelle elle tombera par hasard, appelant à fonder un groupe universitaire LGBTQI+ et ses alliés, qui plongera pleinement la jeune femme dans le monde de l’associatif. Ayant elle-même fait son coming out à l’âge de 17 ans, elle souhaite sensibiliser la population aux thématiques LGBTQI+ et rejoint donc l’équipe fondatrice de Think Out, première association du genre à l’Unige.
Lors de l’obtention de son diplôme en 2008, elle remet
Think Out à une nouvelle génération d’étudiants et rejoint le Fonds des Nations unies pour la population, en tant que consultante. Alors qu’elle s’engage dans la carrière dont elle avait longtemps rêvé, elle remarque rétrospectivement avoir mal vécu le fait d’être si loin de l’impact sur le terrain. Une année plus tard, elle commence un master en affaires internationales à l’Institut des hautes études internationales et du développement (IHEID) et rejoint un groupe d’étudiants issus de toute la Suisse pour organiser le premier événement national pour les jeunes sur les thématiques LGBTQI+.
Aujourd’hui, Sandrine Cina est bien loin de l’époque de ses études, et ce petit groupe d’étudiants est devenu une véritable organisation à part entière, active depuis bientôt dix ans. Il s’agit de Be You Network, une association nationale qui a pour but de faciliter l’engagement de toutes et tous sur les thématiques du genre et LGBTQI+, des thèmes qui lui sont particulièrement chers de par son vécu, à la fois en tant que membre de la communauté LGBTQI+ et en tant que femme dans le monde encore très masculin de l’entrepreneuriat.
«Dans le milieu de l’égalité de genre, il n’y a quasiment que des femmes et, à l’inverse, dans celui des start-up, j’étais souvent la seule femme.» Cette réalité la poussera à s’engager dans la promotion de l’égalité au travail: elle opte pour une structure du type de la start-up sociale, un hybride entre l’entrepreneuriat et l’associatif, en créant en parallèle de Be You Network un projet nommé Includeed en 2016. Cette plateforme web permet aux employés de poser des questions et de réagir aux données de diversité de leur entreprise, afin d’établir un feedback anonyme entre employé et employeur. Le problème? Les «financeurs» philanthropes trouvent que cela ressemble trop à une entreprise pour justifier une participation… Alors que les investisseurs, eux, leur reprochent ce côté trop «social».
Entre le monde associatif et celui des start-up, Be You Network décide de prendre le taureau par les cornes et lève 1 million de francs pour lancer Bøwie, le premier incubateur de projets impactants dans le domaine du genre et LGBTQI+ en Suisse. Une structure qui, à l’époque, aurait été bénéfique à Sandrine et son équipe. «On était un groupe de jeunes qui a réussi à créer une organisation qui fêtera ses 10 ans l’an prochain, alors que 90% des projets entrepreneuriaux échouent après un an et demi. Mais on a eu la chance de rencontrer les bonnes personnes au bon moment.»
Un coaching de six mois
A travers Bøwie, Sandrine vise à créer un réseau d’experts et d’investisseurs sur lequel les entrepreneurs dans le domaine du genre peuvent compter. Bøwie les assiste également dans le développement de leur projet au travers d’un coaching de six mois et de rencontres communautaires nationales.
En novembre dernier, cinq des 20 projets initialement incubés par Bøwie ont été récompensés lors de la Bøwie Awards Ceremony. Lors des six prochains mois, le but pour Bøwie sera d’en mesurer l’impact social et l’objectif de la jeune femme n’est pas des moindres: «Nous prévoyons que ces projets concernent 50000 personnes en Suisse en 2020.»
Elle espère offrir à son tour la reconnaissance et le soutien qu’on lui a témoigné lorsque son projet n’était qu’une idée, et qui lui ont permis de faire de son rêve une réalité. En attendant, au travail: la prochaine volée de Bøwie débutera en mai 2020 à Genève, Lausanne, Berne et Zurich.
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