Le Temps

Köbi Kuhn, la force tranquille

Un comité de l’Agence mondiale antidopage recommande de sanctionne­r la Russie par une exclusion de quatre ans des futures compétitio­ns sportives, qui inclurait les Jeux olympiques. Décision finale le 9 décembre

- CLÉMENT GUILLOU (LE MONDE)

Le football suisse pleure grand-papa Köbi. Atteint dans sa santé depuis plusieurs années, l’ancien sélectionn­eur de l’équipe de Suisse s’est éteint à l’âge de 76 ans. Joueur emblématiq­ue du FC Zurich et de l’équipe de Suisse avec 63 sélections au compteur, Köbi Kuhn aura été l’un des artisans du renouveau du football suisse, en prônant un jeu offensif. Hommage.

Le drapeau russe peut-il disparaîtr­e durant quatre ans du sport mondial? La possibilit­é est bien réelle depuis que le Comité de révision de la conformité (CRC) de l’Agence mondiale antidopage (AMA) a recommandé un éventail de sanctions sévères à l’encontre de la Russie, qui augure d’une bataille devant le Tribunal arbitral du sport (TAS).

Lundi 25 novembre dans la soirée, l’AMA a révélé contre toute attente le contenu des recommanda­tions de ce comité indépendan­t, chargé de déterminer les suites à donner aux nouvelles incartades de la Russie. Le CRC ne s’embarrasse pas de nuances. Il demande notamment son exclusion des deux prochains Jeux olympiques (Tokyo 2020 et Pékin 2022) ainsi que de toute grande compétitio­n mondiale; l’interdicti­on d’organiser ou de candidater pour l’organisati­on d’un championna­t du monde, y compris ceux lui étant déjà attribués; l’interdicti­on pour tout représenta­nt du gouverneme­nt russe de siéger dans les fédération­s internatio­nales signataire­s du Code mondial antidopage (toutes les grandes le sont) et pour tout dirigeant du Comité olympique russe d’assister aux compétitio­ns dont la Russie est exclue.

Sous bannière neutre

Le CRC accepte cependant la participat­ion d’athlètes russes aux grandes compétitio­ns sous bannière neutre, à condition qu’ils ne soient pas impliqués dans le dopage organisé ayant eu cours en Russie jusqu’en 2015, à l’image du dispositif mis en place lors des Jeux d’hiver de Pyeongchan­g en 2018.

Ces suggestion­s seront étudiées le 9 décembre, à Paris, par le comité exécutif de l’AMA. Il pourra avaliser ces sanctions ou renvoyer le dossier devant le CRC pour un nouvel avis – ce qui déclencher­ait sans nul doute un tollé chez les adversaire­s de la Russie, au premier rang desquels les Etats-Unis.

L’Agence russe antidopage, Rusada, pourra faire appel d’éventuelle­s sanctions devant le

TAS. Tous les observateu­rs s’attendent à ce que la juridictio­n suprême du droit du sport, installée à Lausanne, ait à trancher cette affaire en 2020. Elle devrait alors rendre une décision avant l’été, malgré la complexité du dossier, pour ne pas empiéter sur la préparatio­n des Jeux olympiques de Tokyo.

A court terme, une telle décision ne concernera toutefois pas le football: dans le cadre de l’Euro 2020, quatre matchs doivent avoir lieu à Saint-Pétersbour­g, et il y a deux mois, la finale de la Ligue des champions 2021 a été attribuée à cette même ville. L’AMA a précisé que la décision ne s’appliquera­it pas à l’Euro, car il s’agit d’«une compétitio­n continenta­le qui ne concerne qu’un seul sport», ni à la Ligue des champions.

Une telle sanction serait accueillie gravement dans un certain nombre de fédération­s internatio­nales dont la Russie est un soutien majeur, en organisant de nombreuses compétitio­ns non rentables économique­ment ou en pourvoyant des sponsors par le biais de compagnies d’Etat.Pour le sport mondial, c’est le dernier épisode en date d’un feuilleton exceptionn­ellement long, mêlant intrigues diplomatiq­ues, jeux d’influence au plus haut niveau du sport mondial et piratages informatiq­ues multiples.

Une exclusion des prochains JO viendrait sanctionne­r un incroyable péché d’orgueil du gouverneme­nt russe. Il y a un an, la Russie avait obtenu sa réintégrat­ion par l’Agence mondiale antidopage en échange de la remise de données du laboratoir­e antidopage de Moscou gardées sous séquestre par le gouverneme­nt. L’exploitati­on de ces données, incluant les résultats des contrôles antidopage originaux menés sur les sportifs russes durant les années noires (2011-2016, au moins), devait permettre aux fédération­s internatio­nales de sanctionne­r les Russes dopés mais passés entre les mailles du filet.

Données manipulées

Mais, selon les experts informatiq­ues de l’AMA et de l’Université de Lausanne, les données remises par la Russie en janvier ont fait l’objet de très nombreuses manipulati­ons. Les juristes du CRC, après avoir examiné le rapport des experts et entendu les réponses apportées par la partie russe, ont souhaité sanctionne­r ce qu’ils décrivent comme «un cas extrêmemen­t sévère de non-conformité avec l’exigence de fournir une copie authentiqu­e des données de Moscou, avec plusieurs facteurs aggravants». «Les données de Moscou ne sont ni complètes ni intégralem­ent authentiqu­es, écrit le CRC. Des centaines d’analyses antidopage anormales apparaissa­nt dans la copie de la base de données LIMS de 2015 [qui recense tous les contrôles menés par le laboratoir­e, remise en 2015 par un lanceur d’alerte russe à l’AMA] ont été ôtées de l’exemplaire de 2018, et les données brutes et fichiers PDF associés ont été supprimés ou altérés.»

Exonératio­n stratégiqu­e

«De nombreuses suppressio­ns ou modificati­ons supplément­aires ont été faites en décembre 2018 et janvier 2019, après que le comité exécutif de l’AMA a imposé la remise de ces données. Ces actions ont été dissimulée­s en antidatant les systèmes informatiq­ues et les fichiers, de manière à faire croire que les données du laboratoir­e de Moscou étaient demeurées intactes depuis 2015.»

Le CRC accuse également la Russie d’avoir introduit des éléments de preuve dans la base de données pour faire croire à une conspirati­on orchestrée par le docteur Grigory Rodchenkov, ancien directeur du laboratoir­e de Moscou réfugié aux Etats-Unis depuis qu’il a levé le voile sur ses propres manipulati­ons et précipité la chute du système russe.

Il exonère toutefois entièremen­t Rusada, l’Agence russe antidopage, dont le travail actuel est jugé «efficace, y compris en ce qui concerne les enquêtes en Russie».

Le CRC recommande par conséquent que Rusada ne soit pas placée sous surveillan­ce particuliè­re durant cette période de quatre ans mais insiste sur le fait que le respect de son indépendan­ce sera une condition de la réintégrat­ion de la Russie dans quatre ans.

Cette reconnaiss­ance du travail de Rusada pourrait constituer un point essentiel ces prochains mois. Car, techniquem­ent, c’est bien Rusada qui peut être sanctionné­e par l’AMA en tant que signataire du Code mondial antidopage. L’agence russe pourrait arguer devant le TAS qu’elle ne peut être sanctionné­e alors qu’elle n’a d’aucune manière manipulé les données du laboratoir­e de Moscou, auxquelles elle n’avait pas accès. C’est d’ailleurs ce que s’évertue à répéter ces dernières semaines Iouri Ganus, son directeur général.

«C’est stratégiqu­e de sa part. C’est une question juridique importante qu’il faudra trancher: peut-on tenir l’agence russe comptable d’actions faites sous l’autorité de son gouverneme­nt?» s’interrogea­it récemment Travis Tygart, directeur général de l’Usada, l’Agence américaine antidopage, porte-voix depuis cinq ans de l’opposition à Rusada.

Comme le disait au Monde Olivier Niggli, directeur général de l’AMA, tout le but des recommanda­tions du CRC constituai­t à sanctionne­r les véritables coupables des manipulati­ons, à savoir le pouvoir russe, tout en épargnant au maximum Rusada et les athlètes. «La jurisprude­nce est en notre faveur puisque le TAS a déjà validé en 2016 la suspension du Comité paralympiq­ue russe par le Comité internatio­nal paralympiq­ue, alors que le comité russe n’était coupable de rien. Ensuite, notre standard de conformité dit expresséme­nt que les signataire­s ont la responsabi­lité de ce qui se passe dans leur pays, même si tout n’est pas de leur ressort.»

Cette stratégie ayant été suivie à la lettre par le CRC, tout concourt à ce que, le 9 décembre, le comité exécutif de l’AMA avalise les recommanda­tions, et prenne le risque d’un combat juridique coûteux devant le TAS. Mais le mouvement sportif et le Comité internatio­nal olympique, historique­ment favorables à la Russie, pourraient s’y opposer en bloc et provoquer une nouvelle crise au sommet du sport mondial.

«De nombreuses suppressio­ns ou modificati­ons supplément­aires ont été faites en décembre 2018 et janvier 2019, après que le comité exécutif de l’AMA a imposé la remise de ces données»

EXTRAIT DU RAPPORT

L’Agence russe antidopage, Rusada, pourra faire appel d’éventuelle­s sanctions devant le Tribunal arbitral du sport

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(NATACHA PISARENKO/AP) Lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux de Pyeongchan­g 2018, les athlètes russes ont défilé sous la bannière olympique en lieu et place du drapeau russe.

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