Les signes religieux autorisés pour les élus genevois
Saisie de plusieurs recours, la Cour de justice retouche la loi sur la laïcité de l’Etat, acceptée par les citoyens genevois en votation en février. Elle lève l’interdiction faite aux membres d’organes législatifs de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.
La justice genevoise a annulé partiellement une disposition de loi sur la laïcité de l’Etat. Elle lève l’interdiction des signes ostentatoires au Grand Conseil et dans les conseils municipaux, mais pas dans les exécutifs ni pour les fonctionnaires en contact avec le public
Après des mois de débats houleux sur la loi sur la laïcité de l’Etat à Genève, on croyait le calme revenu avec son acceptation par le peuple, à 55,1% en février dernier. C’était compter sans la justice, qui est venue mardi invalider une partie de la loi.
La Chambre constitutionnelle de la Cour de justice avait été saisie de six recours, provenant des Verts, du Réseau évangélique suisse, de huit femmes de confession musulmane, ainsi que de l’Union des organisations musulmanes de Genève. Elle a tranché en les admettant partiellement: l’appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs pour les députés au Grand Conseil et les membres des conseils municipaux est désormais autorisée, contrairement à ce que disait la loi. En revanche, l’interdiction de signes religieux est maintenue pour les membres des exécutifs cantonaux et communaux, pour les magistrats du pouvoir judiciaire ainsi que pour les fonctionnaires lorsqu’ils sont en contact avec le public.
«Un frein à la représentation»
Cet arrêt prive la loi sur la laïcité d’un de ses enjeux principaux et qui faisait polémique. C’était précisément sur la question des signes religieux des élus – dont le voile en particulier – que s’était écharpée la classe politique, et contre laquelle les recours avaient été déposés. Or la Chambre estime qu’«en tant que membres d’un organe législatif de milice, les parlementaires n’ont pas vocation à représenter l’Etat, mais la société et son pluralisme, qu’ils incarnent».
De plus, elle note qu’«imposer aux organes législatifs une totale neutralité confessionnelle met à mal le principe démocratique, qui impose aux cantons de se doter notamment d’un parlement élu au suffrage universel, les membres du parlement étant censés représenter différents courants d’opinions, y compris religieuses».
Pour le président des Verts genevois, Nicolas Walder, c’est «une victoire contre une restriction que nous estimions, à raison, contrevenir aux libertés fondamentales et constituer un frein à la représentation. Les Verts poussent au droit de vote des étrangers, et les hémicycles doivent être les plus représentatifs possible de la population. Une élue voilée, un élu avec une kippa ou une croix sur la poitrine ne me posent pas de problème.»
Fort de cette «victoire d’étape», la coordination référendaire se sent pousser des ailes. Pourquoi ne pas tenter d’obtenir autant pour les fonctionnaires en contact avec le public que pour les élus? Ses membres se réuniront ces prochains jours afin de se déterminer sur la possibilité de recourir au Tribunal fédéral contre l’arrêt de la Chambre constitutionnelle afin d’obtenir une levée d’interdiction plus large.
«Assurer la liberté de conscience»
Du côté des défenseurs de la loi sur la laïcité, comme le député PLR Jean Romain, c’est la consternation: «La Chambre utilise l’argument de la milice pour affirmer que les élus représentent la société. Or c’est faux, au moins pour le président du Grand Conseil, pour le vice-président et les cinq membres du Bureau.» Pour Jean Romain, ce n’est pas le député qui incarne l’Etat, mais c’est le lieu où il exerce sa fonction qui l’incarne et qui doit donc demeurer laïque. «C’est en évitant les signes d’appartenance religieuse qu’est assurée la liberté de conscience de chacun, poursuit-il. En plénière, l’expression est exclusivement orale, il faut en bannir les pancartes, les objets, les musiques et toute rhétorique vestimentaire.»
La justice assouplit aussi l’article de loi qui interdisait les manifestations cultuelles sur le domaine public, «lorsqu’elles ne peuvent pas, pour une raison ou une autre, se dérouler sur le domaine privé». Elle précise que «la mise en oeuvre de la loi ne devra se faire que de manière très restrictive, afin de prévenir strictement des troubles graves à l’ordre et à la sécurité publics en raison d’un danger qui les menace de manière directe et imminente». Elle prévoit la possibilité d’opérer un contrôle judiciaire à brève échéance.
La voie judiciaire n’est peut-être pas encore refermée, si velléités de recours il y a encore. Quels que soient les vainqueurs désignés, il n’est pas certain que les votants s’y retrouvent.
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