LES VIGIES DU «TEMPS»
FACE À UNE ACTUALITÉ INTERNATIONALE QUI S’ACCÉLÈRE, NOTRE RÉSEAU DE CORRESPONDANTS JOUE UN RÔLE DÉTERMINANT
Certains appels vous restent en mémoire. Novembre 2019: à l'autre bout du fil, Boris Mabillard, envoyé spécial du Temps dans la partie kurde du nord-est de la Syrie. Posément, il raconte qu'un attentat à la voiture piégée a soufflé les vitres de son hôtel à Qamichli. Au moment de l'explosion, il était heureusement en reportage dans une autre localité. Le lendemain, Anne-Sophie Labadie appelle de Hongkong. Une manifestation dégénère. Derrière elle, le vacarme de la rue, entrecoupé de tirs de gaz lacrymogènes. Chaque jour, nos correspondants apportent les soubresauts de l'actualité internationale jusqu'en rédaction. Ces vigies forment l'exosquelette du journal, elles lui permettent de se projeter autour du monde pour tenter d'y déceler l'essentiel au milieu de l'important.
CINQUANTE JOURNALISTES
A chaque instant, un message ou un e-mail peut signaler que la journée a pris un tour imprévu et nécessite une évaluation: faut-il bouleverser les pages internationales? Si l'événement a une portée majeure, faut-il solliciter le Temps fort, cette troisième page qui est aussi l'une des vitrines du journal? Le choix s'opère selon plusieurs paramètres: l'importance du pays concerné dans le système international, la proximité de l'événement avec la Suisse et sa capacité à résonner avec notre lectorat ou encore la surprise suscitée par une information originale.
Mais l'arbitrage dépend aussi des forces à disposition sur le terrain. Le réseau du Temps repose d'abord sur deux correspondants salariés: Richard Werly à Paris et Valérie de Graffenried à New York. La France, par sa proximité avec la Suisse romande, et les Etats-Unis, par leur rôle crucial, demeurent des priorités éditoriales incontournables. S'y ajoutent cinquante journalistes disséminés sur les cinq continents, dont une quinzaine sont des contributeurs réguliers. Tous sont rémunérés à l'article et collaborent souvent avec plusieurs médias francophones. A ce dispositif se greffent ceux des titres avec lesquels nous collaborons, Le Monde et Libération.
Voilà pour la théorie. Dans la pratique, la couverture internationale d'un média comme Le Temps est en concurrence avec une pléthore de sources. Les réseaux sociaux regorgent d'informations plus ou moins fiables. Souvent, ils servent de signaux avant-coureurs, par exemple lorsqu'un pays est en proie à une contestation croissante. De leur côté, les agences comme Reuters ou l'AFP fournissent un flot continu de dépêches. Leur maillage très serré est essentiel pour recouper et vérifier des faits lointains. Autant de sources supplémentaires et autant de concurrents sur le créneau déjà engorgé de l'actualité internationale. Le constat est clair: face à une telle avalanche, rien ne sert d'être exhaustif.
CHOIX DRACONIENS
L'heure des choix draconiens – et donc forcément discutables – a sonné. Elle met nos correspondants à rude épreuve. Ils le savent: hormis une actualité brûlante où la simple relation des faits suffit, il leur faut débusquer un angle original qui permettra à leur proposition de se différencier parmi les dizaines d'autres reçues chaque jour.
L'écueil est encore plus grand avec ces dossiers qui prennent l'air de feuilletons sans fin. Eric Albert, notre correspondant à Londres, racontait il y a quelques semaines sa circonspection face aux allers-retours de l'infernale mécanique du Brexit. Le questionnement ressurgit avec Richard Werly face au mouvement des gilets jaunes ou avec Valérie de Graffenried lorsqu'un énième rebondissement ébranle l'administration Trump. Faut-il s'en emparer cette fois-ci? Vaut-il mieux attendre? L'exigence est toujours la même pour nos vigies. Celle de distinguer l'essentiel au milieu de l'important.
@marcallgower