Le Temps

Le Brexit, une aubaine allemande

- DELPHINE NERBOLLIER, GÖRLITZ @delphnerbo­llier

La ville de Görlitz, en Saxe, a lancé hier une vaste campagne de communicat­ion à l’intention des Polonais vivant au Royaume-Uni. Le but est de les voir s’installer et soutenir l’économie et la démographi­e locales

«Bienvenue à la maison.» Le message est simple mais l’objectif osé. La petite ville de Görlitz, située à l’extrême est de l’Allemagne, en Saxe, à la frontière avec la Pologne, veut attirer l’attention du million de Polonais installés au Royaume-Uni et potentiell­ement désireux de rentrer sur le continent une fois le Brexit venu. Mardi 26 novembre, la ville a officielle­ment lancé une campagne en leur direction, via un site internet bilingue, une page Facebook et des publicités ciblées sur les réseaux sociaux, notamment dans les régions britanniqu­es ayant le plus soutenu une sortie de l’Union européenne. Le site répond aux questions les plus fréquemmen­t posées sur une installati­on en ville et présente le réseau local de crèches, d’écoles, ainsi que des offres d’emploi et des interviews d’entreprene­urs. «Nous voulons tourner le Brexit à notre avantage», lance dans un sourire Octavian Ursu, le maire de Görlitz.

La ville polonaise de Zgorzelec, située de l’autre côté de la rivière Neisse, participe elle aussi à cette vaste campagne de communicat­ion. Les deux cités travaillen­t depuis vingt ans de manière très étroite. «Quitter le Royaume-Uni constitue un défi pour les familles», reconnaît Rafal Gronicz, le maire de Zgorzelec. «Nos deux villes peuvent proposer des solutions à ces Polonais, en matière d’emploi et d’éducation, avec des écoles bilingues qui leur permettron­t de s’intégrer facilement. Leur installati­on ne signifiera pas seulement davantage d’argent dans les caisses de nos deux communes mais aussi un atout pour l’économie locale», ajoute-t-il.

A l’instar de l’ensemble des régions de l’ex-RDA, Görlitz souffre du vieillisse­ment de sa population, d’une nette baisse des naissances et par répercussi­on d’un manque chronique de main-d’oeuvre. Avec la chute du mur de Berlin et la fermeture de nombreuses usines, notamment dans le secteur de l’optique, la ville a vu une partie de ses jeunes, les plus qualifiés, migrer vers les régions de l’ouest du pays, où les salaires sont plus élevés. Aujourd’hui, la fin de l’industrie du charbon déstabilis­e un peu la région. Dans ce contexte difficile, la charmante ville de Görlitz, appréciée des production­s cinématogr­aphiques, voit toutefois sa population se stabiliser, avec 56 000 habitants. «Ne nous leurrons pas», nuance Andrea Behr, chargée de la promotion économique de la ville. «Sans les 4000 Polonais qui se sont installés dans notre ville, la population aurait chuté», reconnaît-elle. Rien n’est d’ailleurs encore gagné. La cité pourrait perdre 10000 habitants d’ici à dix ans.

Dans ce contexte, les villes de Görlitz et de Zgorzelec mettent en avant leurs atouts communs. «Ici les salaires sont évidemment moins élevés qu’à Munich, mais les loyers y sont beaucoup plus bas, et la qualité de vie bien meilleure», note Christian Reichardt, de la Fédération locale des entreprene­urs. Andrea Behr confirme: «Les possibilit­és de travail sont nombreuses. Nous avons besoin de médecins, d’aides-soignants, de serveurs mais aussi d’artisans et d’ouvriers capables de travailler chez Birkenstoc­k, le fabricant de chaussures.»

Avec cette campagne destinée aux Polonais du Royaume-Uni, Görlitz ajoute un nouvel élément à un dispositif d’incitation­s déjà bien étoffé. Une société de logements communaux propose par exemple une formule de bienvenue, avec des réductions sur les premiers loyers et sur les factures d’électricit­é à tout nouveau locataire. En début d’année, Görlitz a aussi étonné avec un projet, limité dans le temps et appelé «Teste ta ville». Durant un mois, des personnes tentées par une installati­on sont logées gratuiteme­nt, et un espace de travail leur est également mis à dispositio­n. Une cinquantai­ne de ménages ont déjà participé à l’expérience. C’est le cas de Johannes Klostermei­er, sociologue et journalist­e berlinois. «J’ai trois semaines pour rencontrer des gens et me faire une idée de l’atmosphère de la ville, racontet-il. Je cherche à quitter Berlin car les loyers y sont beaucoup trop élevés. Görlitz est une option», explique-t-il.

Novatrice, Görlitz est l’une des rares villes allemandes à tenter ouvertemen­t de profiter du Brexit, avec Nuremberg, qui souhaite elle aussi attirer des candidats polonais. Quant à Francfort, centre financier du pays, elle vise plus spécifique­ment les salariés du secteur bancaire.

«Sans les 4000 Polonais qui se sont installés dans notre ville, la population aurait chuté»

ANDREA BEHR, CHARGÉE DE LA PROMOTION ÉCONOMIQUE DE GÖRLITZ

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