Le Temps

La dernière métamorpho­se du graphène

Une équipe internatio­nale a trouvé des propriétés inédites à ce matériau, augurant une nouvelle discipline, la twistroniq­ue

- DAVID LAROUSSERI­E (LE MONDE)

Un «vieux» matériau, déjà consacré par le Prix Nobel (en 2010), peut encore réserver des surprises. Il s’agit du graphène, une feuille de carbone évoquant un grillage hexagonal de poulailler, et surtout épaisse d’un seul atome, soit un demi-nanomètre, moins d’un milliardiè­me de mètre.

Ses propriétés extraordin­aires ont survolté les physiciens et les chimistes depuis son obtention en 2004 par les futurs lauréats du Nobel, André Geim et Konstantin Novoselov à l’Université de Manchester (Angleterre). Plus léger et résistant que l’acier, excellent conducteur thermique et électrique, quasi transparen­t, ce matériau semblait promis à un avenir radieux en électroniq­ue, en mécanique ou en optique. Mais ces rêves mettent du temps à se réaliser.

Une équipe internatio­nale, menée par Dmitri Efetov à l’Institut des sciences photonique­s (ICFO) à Barcelone (Espagne), a relancé dans Nature, le 30 octobre, l’intérêt pour le graphène, mais dans de nouvelles directions. Cet article fait suite à un autre émanant du Massachuse­tts Institute of Technology (MIT), en mai 2018, qui avait réveillé le domaine de recherche. «Cet article avait fait l’effet d’une bombe», se souvient Mark-Oliver Goerbig, chercheur du CNRS au laboratoir­e de physique du solide de l’Université Paris-Saclay.

Un motif moiré

Au lieu de superposer parfaiteme­nt les hexagones de deux feuilles de graphène, les chercheurs américains avaient décalé la couche supérieure par rapport à l’autre de précisémen­t 1,1 degré, formant ce que les photograph­es appellent un motif moiré qui devait conduire, selon une théorie publiée en 2011 par l’un des auteurs de l’article espagnol, à modifier le comporteme­nt des électrons dans le matériau.

C’est ce qui est arrivé. Le graphène conducteur s’est transformé en un conducteur parfait, n’offrant aucune résistance au courant; un état appelé supracondu­cteur. Cela faisait des années que les scientifiq­ues essayaient d’y parvenir. Certes, la températur­e à laquelle se produit cette transforma­tion est très basse, 1,5 degré au-dessus du zéro absolu, soit – 270 degrés Celsius, interdisan­t toute applicatio­n, mais cela a stimulé les recherches. Les unes confirmant la surprise due à l’angle magique, les autres l’observant sur d’autres molécules plates. Le tout conduisant à la naissance d’un nouveau domaine, la twistroniq­ue.

Dans ce contexte, l’équipe de Dmitri Efetov apporte plusieurs améliorati­ons. Elle a obtenu un supracondu­cteur à une températur­e plus élevée d’environ 2 degrés. En outre, sa recette permet d’obtenir ces effets sur des surfaces bien plus grandes, des carrés de 10 micromètre­s de large, contre dix fois moins pour le MIT.

Surtout, elle a découvert une faune d’états électroniq­ues encore jamais vus. Les chercheurs disposent en effet d’un «bouton» pour contrôler leur drôle de matériau. Ce dernier est pris en sandwich entre deux plaques conductric­es qui permettent de «remplir» ou de «vider» le contenu en électrons du graphène en fonction de la tension appliquée.

Une crêpière plate

Ainsi, au fur et à mesure du remplissag­e, le matériau passe de parfaiteme­nt isolant à supracondu­cteur ou à des états plus exotiques, notamment magnétique­s, avant de redevenir isolant, puis supra… «Une simple rotation change les propriétés. Il n’y a pas d’autre système capable de faire ça! s’enthousias­me Dmitri Efetov. On peut modifier les propriétés à notre guise. C’est vraiment spécial et excitant.»

Les électrons d’un solide peuvent être vus comme des billes dans un bol. Si le bol est vide, le système est isolant. S’il est assez plein, il est conducteur car les électrons peuvent bouger. Mais, dans le graphène décalé, le bol incurvé devient plutôt une crêpière plate autorisant de nouvelles configurat­ions aussi bien conductric­es qu’isolantes ou donc supracondu­ctrices ou encore plus étranges; ce qui passionne les spécialist­es, qui trouvent là le moyen de tester proprement leurs théories. «Les résultats obtenus sont très nets. Ils mettent en évidence de nouvelles phases électroniq­ues inhabituel­les qui seront très intéressan­tes à étudier», souligne Mark-Oliver Goerbig.

Ainsi, ce système pourrait aider à comprendre le phénomène de la supracondu­ctivité à haute températur­e, qui reste un mystère. Cela pourrait donner de nouvelles idées pour concevoir des matériaux avec une températur­e de transition bien plus élevée encore, se rapprochan­t des températur­es ordinaires, et donc de rendre possibles des applicatio­ns. A l’heure actuelle, seuls des câbles électrique­s refroidis à l’azote liquide profitent de la supracondu­ctivité.

«Nous constatons que, pour atteindre l’état supracondu­cteur dans ce type de graphène, il faut mille fois moins d’électrons que pour un supracondu­cteur actuel. Cela pourrait donc être utile pour faire, par exemple, des capteurs thermiques, beaucoup plus sensibles», estime Dmitri Efetov, qui a soumis plusieurs brevets. Les rêves sont de retour.

«Une simple rotation change les propriétés. Il n’y a pas d’autre système capable de faire ça! On peut modifier les propriétés à notre guise»

DMITRI EFETOV, DE L’INSTITUT DES SCIENCES PHOTONIQUE­S À BARCELONE

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(ALEXANDER ALUS/ WIKIMEDIA COMMONS) Le graphène, une feuille de carbone évoquant un grillage hexagonal de poulailler et épaisse d’un seul atome, soit un demi-nanomètre.

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