La sous-traitance horlogère sous pression
La Suisse vend toujours moins de garde-temps. Amorcée au début du siècle, la tendance s’est accélérée ces dernières années. Les sous-traitants doivent composer avec cette nouvelle donne
Troubles à Hongkong et tensions géopolitiques internationales. La conjoncture n'est pas favorable à l'horlogerie, une industrie traditionnellement marquée par des cycles prononcés. «Ça cale», confirme Alain Marietta. Le directeur général du fabricant de cadrans Metalem, basé au Locle (NE), observe en effet depuis septembre qu'«on va vers du brouillard et [qu'il] ne voit aucune haute pression l'année prochaine susceptible de le dissiper».
Des crises, Alain Marietta en a vu passer. Il s'agit de la douzième zone de turbulences qu'il traverse. Mais c'est un mal plus profond qui le préoccupe aujourd'hui, à savoir le désamour que les consommateurs semblent éprouver pour les montres suisses bon marché, un phénomène que rien ne semble enrayer. Chaque mois, les exportations de ce segment reculent inexorablement et si la tendance se poursuit, le volume global de garde-temps suisses écoulés atteindra péniblement les 20 millions sur l'année. On est loin des 29 millions de montres écoulées en 2000, une époque où les Swatch s'arrachaient et où les montres intelligentes ne s'affichaient qu'au poignet de James Bond.
Changement de paradigme
Dans le même temps, la valeur des montres exportées résiste, confirmant bien que l'horlogerie suisse se concentre toujours plus dans le haut de gamme. Comment le tissu économique de l'Arc jurassien, centré sur cette industrie, va-t-il s'adapter à cette nouvelle donne? L'outil de production est-il en péril? Le renforcement du label «Swiss made» qui visait à valoriser le savoir-faire horloger suisse a-t-il atteint sa cible? Des questions qui taraudent tous les acteurs et observateurs de la filière horlogère interrogés.
Des questions qui restent pour l'instant sans réponse. Il faut dire qu'avec des fabricants de pignons, de cadrans ou de rouages, le spectre des activités couvertes est large. Les réalités vécues varient par ailleurs beaucoup selon la taille des entreprises, ainsi que les marques horlogères qui recourent à leurs compétences.
C'est donc une situation «contrastée» que décrit le directeur du salon EPHJ, le rendez-vous annuel genevois des acteurs de la sous-traitance. Logiquement, selon Alexandre Catton, «les sous-traitants actifs dans le haut de gamme semblent épargnés alors que les autres peuvent être affectés par la baisse de volume des entrées de gamme».
Les petites entreprises fragilisées
Autre fabricant de cadrans, Joris Engisch, directeur de l'entreprise Singer, à La Chaux-de-Fonds (NE), s'estime par exemple relativement préservé, même s'il observe une baisse d'activité de l'ordre de 10% après «deux très belles années». Une évolution qui l'a contraint à supprimer une vingtaine de postes. A ses yeux, «c'est surtout l'existence des petits sous-traitants, des sociétés de cinq à dix personnes, que l'évolution actuelle met en danger».
«J'en suis arrivé à vendre à perte», semble confirmer un entrepreneur qui dirige une petite société des Montagnes neuchâteloises et qui préfère ne pas être nommé. Il fait état d'une pression énorme sur les marges de la part de ses donneurs d'ordre et songe à céder son entreprise après vingtcinq années d'activité dans le domaine de la sous-traitance médicale et horlogère.
A la tête du groupe jurassien Acrotec, François Billig ne fera pas partie des repreneurs potentiels. Car si depuis une quinzaine d'années l'homme multiplie les rachats de sous-traitants, l'horlogerie ne fait aujourd'hui pas partie de ses priorités. Sa stratégie est claire: bâtir un groupe bien diversifié, histoire de répartir les risques: «A l'heure actuelle, nous dépendons encore pour moitié de l'horlogerie, mais à terme, je ne vise plus qu'un tiers dans ce marché, un tiers dans le médical et un tiers dans l'aéronautique.» Les emplettes qu'il a réalisées récemment corroborent ses propos puisque deux sociétés sont actives dans le médical.
François Billig ne se montre en revanche pas surpris des difficultés rencontrées par les petits acteurs de la filière, car les exigences que les entreprises horlogères émettent sont croissantes: «Certaines marques étendent par exemple leur garantie à cinq ans.
Le sous-traitant doit suivre derrière en investissant dans des équipements précis et des moyens de contrôle efficaces.»
Pour faire face, il faut donc exceller, croître, se diversifier, autant de pistes qui doivent répondre au même enjeu crucial: «Capter une partie de la valeur ajoutée des marques horlogères.» Cet enjeu, c'est Hugues Jeannerat, chercheur en géographie économique et en innovation à l'Université de Neuchâtel, qui le met en exergue. Associé à la Chambre neuchâteloise de commerce et d'industrie et à la Banque cantonale neuchâteloise, il a consacré l'année dernière une étude sur le sujet et propose des pistes de réflexion. Outre la diversification, le groupe de travail a par exemple suggéré de mutualiser certaines activités pour mieux réagir aux variations de commandes ou de collaborer dans des projets de recherche et développement.
De nouvelles chances à saisir
Car qui dit tournant, dit aussi nouvelles opportunités. «Avec la montée en gamme, le niveau de complication horlogère va toujours plus loin, relève Patrick Linder, directeur de la Chambre d'économie publique du Jura bernois. Une évolution qui crée de nouveaux besoins en pièces sophistiquées.»
Reste que les entreprises actives dans la sous-traitance estiment ne pas être les seules à devoir se renouveler. Selon elles, l'horlogerie suisse doit aussi faire son examen de conscience et se réinventer: «parler aux jeunes générations», avance Alain Marietta, de Metalem, «faire preuve de créativité», renchérit Joris Engisch de Singer.
Selon l'observateur privilégié qu'est Alexandre Catton, directeur du salon EPHJ, l'écosystème industriel de l'Arc jurassien saura relever le défi de la montée en gamme de l'horlogerie. Lui qui ne vient pas du sérail se dit impressionné par la «capacité de résilience» dont ces dizaines d'entreprises souvent peu connues font preuve en toute discrétion.
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