La stratégie du «cartel du cacao» s’avère payante
Le Ghana et la Côte d’Ivoire, qui assurent 60% de la production des fèves, se battent pour améliorer le niveau de vie des producteurs. Barry Callebaut, Lindt et autres acheteurs débourseront, en plus du prix du marché, une prime de 400 dollars par tonne de cacao
Le président ghanéen, Nana Akufo-Addo, est un personnage chaleureux, vif et passionnant. Lors d’une conférence sur les investissements en Afrique il y a quinze jours à Johannesburg, il s’est fait remarquer distribuant du chocolat estampillé «made in Ghana». Son message: que son pays, l’un des principaux producteurs mondiaux de cacao, devienne un jour un exportateur de chocolat.
Mais dans l’immédiat, Nana Akufo-Addo s’est donné une autre mission: assurer un meilleur revenu pour les petits producteurs de cacao qui peinent à joindre les deux bouts. Pour atteindre son objectif, le Ghana s’est allié à la Côte d’Ivoire – les deux pays assurent 60% de la production mondiale du cacao – pour former un «cartel» afin de mieux maîtriser l’offre. L’objectif n’est pas d’influencer les cours, mais d’obtenir, en sus du prix, une prime de 400 dollars par tonne de cacao, qui sera destinée aux producteurs.
Cette initiative conjointe a été lancée l’été dernier. Le mécanisme dit «différentiel de revenu décent» doit entrer en vigueur avec la récolte 2020-2021. «Les réactions des grands acheteurs de cacao, à commencer par les acheteurs suisses – Barry Callebaut, Nestlé, Lindt – sont positives, a affirmé Nana Akufo-Addo au Temps, présent à Johannesburg. Un dialogue est établi et, apparemment, ils admettent le principe de payer davantage.» Et d’ajouter: «Il est inadmissible que l’industrie mondiale du chocolat brasse plus de 100 milliards de dollars par an mais que seuls 6 milliards reviennent aux paysans.»
En effet, le ton du côté des acheteurs de la matière première a été donné par le confiseur américain Mars. «Il a été le premier à admettre que les producteurs méritent un meilleur revenu, s’est félicité le président ghanéen. Et les autres ont suivi.»
«Nous soutenons les efforts du Ghana et de la Côte d’Ivoire pour améliorer le niveau de vie des producteurs de cacao et de leur famille, a déclaré mardi un porte-parole de Nestlé. Nous sommes parmi les premières entreprises à acheter la matière première pour la saison 20202021 en incluant la prime de 400 dollars par tonne.»
Même enthousiasme chez Barry Callebaut. «Nous avons annoncé dès juillet notre soutien, a affirmé le porte-parole de la multinationale, qui est l’un des plus grands acheteurs mondiaux de cette matière première. Désormais, tous nos contrats incluent la prime.»
Selon un recensement de Mighty Earth, une organisation internationale qui milite pour la protection de l’environnement, presque tous les acheteurs (Nestlé, Barry Callebaut, Lindt, mais aussi Cargill, Hershey’s, Godiva, Mars, S&D, Sucden) soutiennent les objectifs du «cartel». Selon Nitesh Shah, directeur de la recherche auprès de la société financière américaine WisdomTree, les chocolatiers et confiseurs se retrouvent dans une situation particulière où la matière première est concentrée à 60% entre les deux pays. «Ils acceptent aussi de payer afin d’assurer l’approvisionnement de la matière première, dit-il. Personne ne souhaite une rupture de la chaîne de l’approvisionnement.»
Le «cartel» menace
Cette unanimité chez les acheteurs cache toutefois la pression exercée par la Côte d’Ivoire et le Ghana. Au début du mois, le «cartel» avait menacé de suspendre les programmes sociaux et environnementaux que les acheteurs s’évertuent à mettre en place pour montrer patte blanche. Pendant des années, ces derniers les ont mis en avant, mais sans agir sur les prix.
La tonne de cacao se vendait mardi à 2618 dollars la tonne. C’est proche de l’objectif fixé par le Ghana et la Côte d’Ivoire. Au début du mois, la tonne rapportait 2439 dollars. Il y a une année, c’était 2184 dollars. Selon Nitesh Shah, la tendance haussière s’explique par les craintes d’une offre insuffisante pendant la saison 2020-2021, liée à une abondance de pluie.
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«Il est inadmissible que l’industrie mondiale du chocolat brasse plus de 100 milliards de dollars par an mais que seuls 6 milliards reviennent aux paysans» NANA AKUFO-ADDO, PRÉSIDENT DU GHANA