Le Temps

Paul Lewis, pianiste au coeur tendre

Disciple d’Alfred Brendel, ni enfant prodige ni virtuose aux doigts d’acier, le pianiste anglais évoque son parcours musical. Il joue pour la première fois avec l’OSR à Genève et à Lausanne

- JULIAN SYKES Paul Lewis, Andris Poga et l’OSR, Mozart et Bruckner, me 27 à 20h au Victoria Hall de Genève et je 28 novembre à 20h15 à la Salle Métropole de Lausanne. www.osr.ch

Etait-ce sa destinée? Comment s’est-il retrouvé à jouer un jour en master class pour Alfred Brendel à Londres? Une chose est sûre: ce jour-là a changé sa vie. Prenant des leçons chez Brendel dans les années 1990, Paul Lewis a pu accéder à l’univers privilégié du maître autrichien. Il s’impose aujourd’hui comme l’un de ses héritiers au piano. Son jeu finement articulé, finement nuancé, sans fard ni vulgarité, repose sur le grand classicism­e et romantisme austro-allemand.

Invité pour la première fois par l’Orchestre de la Suisse romande,

Paul Lewis joue ce soir à Genève et demain soir à Lausanne le 27e Concerto pour piano de Mozart. Ce concerto si limpide, teinté de nostalgie, le dernier composé par Mozart, «n’affichant pas la moindre virtuosité», est parfois considéré comme son chant du cygne dans le domaine. «C’est vrai qu’il y a quelque chose d’un peu nostalgiqu­e dans ce concerto, comme si Mozart tournait le regard vers le passé, confie le pianiste, mais il n’y a aucune preuve que Mozart savait que ce serait son dernier concerto.»

Né en 1972 à Liverpool, Paul Lewis n’a guère été exposé à la musique classique: il a tout découvert par lui-même. Il se souvient que dès l’âge de 8 ans il a commencé à fréquenter une phonothèqu­e du quartier très bien fournie. «Parmi les premiers LP que j’ai entendus, il y avait les enregistre­ments de jeunesse de Brendel publiés chez Turnabout.» De quoi former son oreille et constituer une discothèqu­e personnell­e en copiant les vinyles sur cassettes.

A l’école, le jeune Paul fait un peu figure d’outsider. Des adolescent­s de 11 à 12 ans qui aiment la musique classique, on les compte sur les doigts d’une main! «Mes professeur­s d’histoire et de géographie m’ont fait des recommanda­tions et prêté des disques.» Ses parents, eux, ne sont guère versés dans le classique. «Mon père était un fan du chanteur de folk et de country John Denver. Il avait tous ses disques!» Attentifs, ses parents l’emmènent toutefois aux concerts du Royal Philharmon­ic Orchestra de Liverpool. Et là, c’est la révélation. «Je me souviens du premier concert entendu: il y avait l’Ouverture «Léonore 3» de Beethoven, le 2e Concerto de Rachmanino­v par Cécile Ousset et la 1re Symphonie de Schumann. Ce concert m’a transporté pendant des jours!»

A l’époque, au début des années 1980, le chef allemand Marek Janowski – plus tardivemen­t à l’OSR – était le directeur musical du Philharmon­ic Orchestra de Liverpool. Paul Lewis se souvient avoir été en transe après avoir entendu l’immense Une Vie de héros de Strauss. Il achète l’intégrale des symphonies de Brahms enregistré­es par Janowski et ses musiciens anglais. «J’étais comblé de pouvoir revivre au disque les sensations vécues en concert.»

L’adolescent joue de son violoncell­e dans des orchestres de jeunes locaux. «Mais à la vérité, j’étais un lamentable violoncell­iste!» avoue-t-il. «Le piano semblait plus naturel et j’arrivais à me débrouille­r.» Il troque donc son archet pour le clavier et prend des cours dès l’âge de 14 ans à la Chetham School of Music de Manchester. A 18 ans, il passe à la Guildhall School à Londres. Et là, c’est la rencontre choc avec Alfred Brendel lors d’une master class. «Il m’a dit: restons en contact!»

De 1993 à 1999, le jeune pianiste anglais se rend cinq à six fois par an chez Brendel prendre des leçons particuliè­res. L’exigence du maître est légendaire – presque harassante. «Quand il vous disait quelque chose, il valait mieux essayer de le comprendre très vite et réaliser ce qu’il vous demandait. Sinon, vous vous retrouviez à tomber de plus en plus bas dans un trou sans pouvoir en sortir et dépasser un certain stade», ironise Paul Lewis. Chaque leçon est une leçon d’humanisme. La façon de s’exprimer au piano – chez Mozart, Beethoven, Liszt – reflète celle d’un orchestre entier.

L’art de Brendel repose sur un phrasé extrêmemen­t souple et élastique hérité de son propre maître, Edwin Fischer. «C’est comme si vous donniez l’impression que la ligne musicale – ou les lignes musicales – avait plus de temps et d’espace pour se déployer sans rompre la logique et la structure du discours.» Un art de l’illusion en musique parfaiteme­nt maîtrisé.

Autre clé d’apprentiss­age chez Brendel: la manière d’actionner la pédale. «La pédale est l’un des outils les plus importants au piano. Elle n’est pas là uniquement pour assister les doigts et tenir des notes ou des accords. Alfred m’a montré comment employer la pédale avec différente­s sortes d’articulati­ons. On peut ainsi colorer le jeu de mille manières.» A 88 ans, «Alfred» assiste encore aux concerts de son disciple et lui fait part de son feed-back. Une tendre amitié les unit.

Pour les 250 ans de la naissance de Beethoven, en 2020, Paul Lewis remettra sur le métier les Sonates de l’Opus 27 et le fameux cycle des Variations Diabelli. Un nouveau CD des Bagatelles paraîtra accompagné d’une réédition complète des 32 sonates, des Concertos pour piano et des Diabelli enregistré­es naguère pour Harmonia Mundi. Dans l’intervalle, le pianiste répète le 27e Concerto de Mozart, si «harmonieux», «presque schubertie­n». Il reprend son travail dans son studio à Londres, l’oreille à l’affût des lignes mélodiques et des variations de couleur. ▅

«La pédale est l’un des outils les plus importants au piano. Elle n’est pas là uniquement pour assister les doigts et tenir des notes ou des accords. On peut colorer le jeu de mille manières» PAUL LEWIS

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(KAUPO KIKKAS) Paul Lewis: «J’étais un lamentable violoncell­iste!»

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