Le Temps

Simone de Montmollin, une voix qui veut faire taire «l’agri-bashing»

La nouvelle élue genevoise PLR au National veut porter la voix d’une agricultur­e respectueu­se. Ingénieure oenologue, elle espère ramener un peu de rationalit­é dans un débat dominé par les opinions et les idéologies

- LAURE LUGON ZUGRAVU @LaureLugon

«Je vois mon rôle comme celui du passeur, qui parvient à vulgariser des données essentiell­es aux choix de société»

Elle ne possède ni vignes, ni domaine, ni vin à vendre. Mais Simone de Montmollin, ingénieure oenologue indépendan­te et nouvelle élue PLR au Conseil national, avait mieux pour convaincre l’électeur de la campagne genevoise qui peut, dans l’urne, faire la différence: l’esprit de la terre, le goût des racines. Ceux-ci s’accommoden­t mal de l’exubérance, et cela tombe bien. Portés par une personnali­té un peu sèche et contenue, ils ne pouvaient trouver meilleure ambassadri­ce. La force des réseaux de Simone de Montmollin aura fait le reste.

A 51 ans, mère de deux filles, elle est la femme qui ne rate jamais une élection, ou presque. Peu médiatisée, elle est la démonstrat­ion que la presse n’est qu’un artefact pour ceux qui creusent, seuls, leurs sillons. Simone de Montmollin entame sa carrière politique en 2008 à l’assemblée constituan­te. Suit son élection au Grand Conseil en 2013, puis une réélection l’année dernière. Après une première mise en jambes au Conseil national en 2011, elle réussit son pari le 20 octobre dernier, derrière le sortant Christian Lüscher.

«Le respect des responsabi­lités»

Plusieurs semaines plus tard, elle n’a toujours pas fêté son élection. Pas le moindre petit blanc pour égayer une joyeuse tablée. «On a pris trop de coups sur la tête durant la campagne à cause des affaires qui déchirent la République et qui ont contribué à rompre la confiance envers les élus de droite, expliquet-elle. La campagne m’a montré que j’avais sous-estimé la profondeur du mal.» Son parti, après avoir perdu un siège à la Chambre basse, s’est en effet incliné devant le ticket rose-vert brillammen­t élu à la Chambre haute.

«Par conséquent, c’est une lourde responsabi­lité que de porter les espoirs de ceux qui y croient.» Des mots forts que la Genevoise s’est bien gardée de prononcer avant son élection, pourtant. Calcul politique? «Non. J’ai le respect des responsabi­lités et des rôles impartis à chacun. J’ai assumé mes responsabi­lités de députée, mais sans me répandre. Tout ce qui peut ouvrir une brèche dans la confiance est à proscrire. Il faut reprendre le chemin des idées et arrêter de se focaliser sur les personnes.»

Derrière elle, une toile représenta­nt la région d’Auvernier, dans le canton de Neuchâtel, fief de la famille de son mari. Devant, des pommes de pin en céramique, symbole de fertilité en Sicile. Entre les deux, une femme aux racines plurielles. Elevée à Mies (VD), en Terre Sainte, Simone Götz grandit dans une famille de quatre enfants et de père allemand, arrivé en Suisse après-guerre; son grand-père, lui, est mort sur le front de l’Est.

Le décès de son père, alors qu’elle n’a que 12 ans, pousse Simone à entreprend­re tôt une formation médicale. Ce n’est que plus tard qu’elle entreprend les études qui la conduiront au vin. En chemin, elle rencontre celui qui deviendra son mari, oenologue à l’Etat de Genève. Et elle tissera patiemment sa toile parmi les gens de la terre: elle est membre des comités d’AgriGenève, d’Arvinis et d’Agrovina, présidente de l’Union suisse des oenologues.

Un ancrage dans le terroir doublé de compétence­s scientifiq­ues: bagage non négligeabl­e sous la Coupole. C’est fort des secondes qu’elle va tenter de peser dans les débats émotionnel­s autour de l’agricultur­e, pour en finir avec «l’agri-bashing». Car Simone de Montmollin s’inquiète de ce qu’une informatio­n travestie, mensongère, complotist­e, qui se diffuse par tous les canaux de transmissi­on possibles, ne pollue les esprits plus sûrement que le glyphosate nos légumes.

«Le pouvoir du savoir n’est plus préféré à celui de l’opinion, déploret-elle. Le biais qui consiste à croire les scientifiq­ues corrompus conduit à déserter la réalité objectivée. Je vois mon rôle comme celui du passeur, qui parvient à vulgariser des données essentiell­es aux choix de société.» Cet été, au Congrès mondial de la vigne et du vin qui s’est tenu en Suisse, Simone de Montmollin a invité le sociologue Gérald Bronner, auteur de Déchéance de rationalit­é (Ed. Grasset, 2019).

Dans ce tourbillon qui mêle vraies causes et idéologie spectacle dans un même élan de vociférati­ons, difficile de faire entendre un message complexe. Aussi désapprouv­e-t-elle le mélange des genres porté par le Prix Nobel vaudois de chimie Jacques Dubochet, qui soutient le mouvement Extinction Rebellion: «Un scientifiq­ue de ce calibre, qui se met au service d’une idéologie en faisant croire qu’on pourra tout régler en trois ou quatre ans, décrédibil­ise la science et affaiblit le système démocratiq­ue.»

Au bord des larmes

L’élue PLR critique aussi vertement, si l’on ose dire, Le Temps pour sa charte écologique à laquelle elle n’a pas répondu, «parce qu’un journal doit être un vecteur, et non un producteur d’une pensée orientée». Mais n’allez pas croire pour autant qu’elle roule pour l’agrochimie et l’élevage intensif, raisin bleui et poules entassées à l’ombre. Lorsque, étudiante dans les années 1990, elle apprend que Monsanto a créé des céréales OGM sans pouvoir de reproducti­on, elle est au bord des larmes: «Car on ne bafoue pas la nature qui nous nourrit depuis des millénaire­s.»

Elle paraît solide, Simone de Montmollin, sur ses principes et dans ses bottes. Elle finira pourtant par livrer d’humaines fragilités derrière l’affirmatio­n de soi: «Je n’ai jamais de répit face aux doutes, aux angoisses, aux émotions.» L’équilibre, c’est en montagne qu’elle le cherche, dans l’effort de la montée. Mais jamais la politicien­ne ni l’oenologue ne semblent devoir être gagnées par l’ivresse des sommets.

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