Le Temps

A Genève, le musée d’ethnograph­ie s’engage à faire toute la transparen­ce

- PROPOS RECUEILLIS PAR C. F.

Entretien avec le directeur d’une institutio­n qui veut devenir irréprocha­ble sur le plan de l’éthique

Le directeur du Musée d’ethnograph­ie de Genève a présenté mardi dernier son plan stratégiqu­e pour la période 2020-2024, une nouvelle vision du musée qui veut inventer une nouvelle relation avec le public, tous les publics, de Genève et d’ailleurs. Pour Boris Wastiau, à la tête du MEG depuis 2009, la recherche de transparen­ce est de l’ordre de l’évidence de longue date, ce n’est qu’une toute petite partie de la mission du musée.

La recherche de provenance est mise en avant par quantité de musées aujourd’hui, s’agit-il d’un regard nouveau sur les collection­s? Laissez-moi d’abord redire que la recherche de provenance n’a rien de nouveau, nous la pratiquons dans ce musée depuis plus de dix ans et je crois pouvoir affirmer que nous sommes le seul musée ethnograph­ique qui affiche systématiq­uement la provenance et le mode d’acquisitio­n de ses collection­s, dans nos exposition­s temporaire­s comme permanente­s. Ce qui est nouveau, c’est la médiatisat­ion de l’importance de la question, mais cela n’a rien changé à notre perspectiv­e, qui était déjà là.

Le premier des cinq objectifs que s’assigne le MEG est celui de décolonise­r – décolonise­r les collection­s, les narrations? Il faut faire comprendre à nos publics et partenaire­s qui l’ignorent ou veulent l’ignorer que le colonialis­me n’en a pas encore fini, et que dans notre façon de travailler, d’interagir avec le public, il y a encore des marques de colonialis­me. Notre premier projet très important vise à établir des liens et des contacts avec des communauté­s sources – des premières nations, des porteurs de culture, qui potentiell­ement pourraient avoir un intérêt, des revendicat­ions ou des exigences par rapport à nos collection­s. Nous avons reçu des délégation­s de l’Alaska, des descendant­s du sculpteur des totems qui trônaient dans le parc du MEG autrefois, une délégation de l’Amazonie avec qui nous avons discuté de la mise à dispositio­n de la collection phonograph­ique, une délégation aborigène de l’Australie… Il s’agit d’établir des liens de confiance avec des communauté­s sources en lien avec nos collection­s. Un autre projet vise à étudier les réseaux, les échanges asymétriqu­es, les modes d’acquisitio­n des objets collectés par des missionnai­res, des ingénieurs, des diplomates, des marchands… Ce projet scientifiq­ue de fond permettra d’avoir des bases solides sur les questions de provenance.

Nous voulons aussi lister les objets particuliè­rement sensibles, problémati­ques, acquis par la violence morale ou autre moyen: tel diplomate a utilisé une malle à double fond, un autre a sous-déclaré la valeur d’un objet pour ne pas attirer l’attention des douaniers… Je m’engage à ce que, dans les deux ans, nous ayons pris contact avec une population, des militants, des organisati­ons, un musée, qui pourraient avoir un intérêt

BORIS WASTIAU

DIRECTEUR DU MUSÉE D’ETHNOGRAPH­IE DE GENÈVE

«Nous voulons lister les objets particuliè­rement sensibles, problémati­ques, acquis par la violence morale ou par un autre moyen»

dans ces objets, et à ce que le dialogue soit engagé.

Vous ne craignez pas que cette démarche proactive favorise le départ de ces objets? C’est ce qu’on lit à longueur d’articles depuis un an, excusez-moi – mais regardez la réalité des faits! Je n’aime pas le rapport Savoy-Sarr, mais j’aime qu’il dise que «bien mal acquis ne profite jamais». Si quelque chose est illicite, on le rend, c’est tout. Pour tout le reste, il faut étudier le contexte. Le rapport suggère qu’il y a eu un grand nombre de demandes de restitutio­n et qu’on n’y a jamais répondu, c’est tout à fait faux. Et il n’y a pas eu de demande formalisée et nouvelle, depuis un an, dans la quarantain­e de musées européens qui ont des collection­s ethnograph­iques. Enfin, il n’y a pas à avoir peur des restitutio­ns. Les Etats-Unis ont renvoyé 650 000 objets funéraires ou sacrés à leurs peuples autochtone­s, quand la justice a tranché. Certains ont été restitués mais la plupart sont restés dans les musées parce que ceux-ci s’en occupaient bien; mais l’aspect «décolonial» de la chose, c’est que maintenant, ces peuples ont un droit sur l’objet, ils peuvent participer à sa présentati­on, son interpréta­tion, ils peuvent occasionne­llement l’utiliser. De là naissent quantité de nouvelles relations. Les collection­s ne sont pas une fin, elles sont un moyen, car destinées à mettre en avant des idées nouvelles, à faire avancer une société. Nous allons multiplier les partenaria­ts et les exposition­s auront désormais deux commissair­es.

Je vous donne un exemple. Pour notre exposition Les arts aborigènes d’Australie, nous avions invité l’artiste indigène australien Brook Andrew et avions mis à sa dispositio­n un grand espace, avec des moyens, il avait vraiment toute latitude. Mais lui a été déçu, il aurait voulu participer dès le départ à la conception même de l’exposition; là, il a eu l’impression d’être un faire-valoir, qu’on cantonnait dans un coin. L’année suivante, il a été nommé directeur artistique de la Biennale de Sydney! Nous voulons travailler sur un mode plus collectif et participat­if. Les attentes ont changé, les cultures profession­nelles doivent aussi changer.

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