Commission européenne: ce qui pourrait changer pour la Suisse
Aussi pataude qu’elle puisse parfois l’être, l’UE n’est que rarement dupe. Elle sait que les ternes penseurs eurosceptiques ont tout fait pour effacer de la place publique un projet d’accord institutionnel intelligemment négocié. Et ils ont réussi. Mais ne voilà-t-il pas que la décriée Commission Juncker est remplacée par un collège de commissaires, la plupart nouveaux. Et alors? Croire que les intérêts de la Suisse seront mieux servis est une approximation.
La base d’une nouvelle relation entre la Suisse et l’UE a été décidée par les Etats membres en 2008 et la ligne n’a pas varié: seul un accord-cadre pourra stabiliser et pérenniser les accords sectoriels. La Commission est un organe de gestion, avec la compétence de lancer et de guider le débat. Elle a ses propres lignes rouges, imposées par les Etats membres. Escompter que la Commission, présidée par Ursula von der Leyen, empoignera le dossier institutionnel différemment est un voeu pieux.
La présidente conserve une supervision directe sur le dossier suisse, comme l’a fait Jean-Claude Juncker. Mais on ne dit pas clairement les motivations de cette astucieuse décision. La présidente entend clore la négociation sur la base acquise à ce jour. Il y a aussi d’autres raisons: la dimension Brexit, les aides d’Etat, le rôle de la Cour de justice sur des questions transversales qui concernent le fonctionnement de l’UE et non pas la Suisse uniquement. Ainsi, le commissaire autrichien, Johannes Hahn, l’interlocuteur avec la Suisse, désormais responsable des Affaires budgétaires, poursuit son rôle d’intermédiaire sur les aspects institutionnels, en lien direct avec la présidente. Quant au commissaire hongrois qui succède à Johannes Hahn pour le portefeuille Elargissement, il ne jouera aucun rôle. Le haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, l’Espagnol Josep Borrell, n’interviendra pas personnellement; seuls ses services seront à la manoeuvre pour l’ensemble du dossier suisse.
La continuité au sommet de la pyramide de la Commission est assurée. On peut se demander si le virulent commissaire autrichien tempérera son exaspération à l’égard de la Suisse, peu pressée de conclure la négociation. Il est rassurant d’avoir un échange avec des responsables qu’on connaît, mais faut-il encore que la chimie personnelle existe. L’histoire enseigne que l’entente cordiale n’a jamais été la devise de la négociation Suisse-UE.
Quant aux services de la Commission, ceux qui ont participé à la négociation ont été remplacés, à l’exception du chef négociateur. Ces services ne proposeront pas une vision autre que celle suivie par leur direction. De haut en bas de la hiérarchie, les personnes changent, mais la structure demeure identique. Aucun signe ne fait entrevoir une nouvelle marche à suivre dans une négociation qui n’en est plus une et que la Suisse a elle-même décidé de ne pas prolonger.
Dans ce pénible enfumage, peut-on espérer un apport d’air frais? Des indices le font pressentir. Il existe, par exemple, une courte fenêtre d’opportunité de deux ou trois mois pour la Suisse et l’UE, entre le retrait du Royaume-Uni de l’UE et le début des négociations de nouveaux accords de libre-échange. L’UE et la Suisse pourraient utiliser ce temps mort pour conclure avant qu’il ne soit trop tard. Une fois entamées, les négociations UK-UE ne permettront plus de concessions; même les tentatives de clarification des points encore ouverts seront difficiles. Godot pourra donc continuer à se faire attendre.
On peut aussi imaginer que la Commission, de guerre lasse, tentera de boucler la négociation une fois pour toutes. Cela supposerait que la Suisse ne s’acharne alors plus à renégocier le projet d’accord. Clarifier les points ouverts est techniquement faisable, par le truchement encore plus affiné de déclarations politiques, combinées avec l’accord. Le parallèle avec le Brexit (accord de retrait couplé avec une déclaration politique) est pertinent. En revanche, s’attaquer aux mécanismes de règlement des différends où le rôle de la Cour de justice est critiqué est une cause vaine. Ni la Commission ni les Etats membres ne sont autorisés à priver la Cour de compétences qui lui ont été conférées par les traités et la jurisprudence. Si on accepte ce constat, il faudra alors impérativement se tourner vers des exercices de clarification différents, moins fondamentaux que ceux réclamés jusqu’à présent.
S’il y a une vraie volonté des autorités suisses de conclure après le scrutin du mois de mai 2020, la route vers la conclusion pourrait être rapide. A l’inverse, si la Suisse exige une réflexion de fond sur la base institutionnelle, la partie sera périlleuse. Tous les chemins ne mènent pas à Bruxelles.
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Aucun signe ne fait entrevoir une nouvelle marche à suivre dans une négociation qui n’en est plus une