Le Temps

Le risque des obligation­s et la sécurité des actions

- JEAN-LOUIS RICHARD ANALYSTE-GÉRANT SENIOR, GMG INSTITUTIO­NAL ASSET MANAGEMENT

Les actions offrent un rendement du dividende substantie­l et, vraisembla­blement, des gains en capital. Les obligation­s rapportent peu, voire coûtent de l’argent, à cause de l’intérêt négatif et ne s’appréciera­ient que si les taux d’intérêt s’enfonçaien­t encore plus dans le rouge

Quel est l’actif le plus risqué entre les obligation­s et les actions? Depuis quelques mois, nos doutes se sont dissipés. Les implicatio­ns sont profondes pour la gestion des portefeuil­les, notamment ceux des institutio­ns de prévoyance.

Fin août, une importante société immobilièr­e suisse a placé avec succès son tout premier emprunt à taux négatif. Son directeur général ne cachait pas sa satisfacti­on à se faire payer pour emprunter de l’argent qu’il allait investir dans des projets rentables.

Mais, avec une pointe d’inquiétude, il précisait que ceux qui avaient acheté cette émission n’étaient pas la clientèle habituelle de fonds de pension et d’assurances qui, normalemen­t, conservent un tel emprunt jusqu’à son remboursem­ent, en l’occurrence dans les 10 ans.

Plus-value à court terme

Cet emprunt a plutôt été acheté par des gérants d’actifs et des particulie­rs dont l’horizon d’investisse­ment est plus court. Leur objectif n’est sans doute pas de perdre avec certitude de l’argent pendant dix ans, mais certaineme­nt d’essayer de réaliser une plus-value à court terme si les taux d’intérêt continuent de baisser.

Ce témoignage illustre comment les taux négatifs tendent à chasser les investisse­urs orientés sur la sécurité et la perception d’un revenu stable (qui a disparu), au profit d’investisse­urs orientés sur la plus-value à court terme, autrement dit, la spéculatio­n. Cela pourrait se traduire par une volatilité accrue des obligation­s.

Cette évolution du marché obligatair­e tranche avec celle du marché des actions où les dividendes apportent un rendement régulier. Celui-ci a oscillé dans une fourchette relativeme­nt étroite entre 3 et 4% pour les actions suisses depuis la grande crise financière de 2008-2009. C’est à ce moment, il y a dix ans, que les actions ont commencé à rapporter davantage que les obligation­s.

Croissance du dividende

En fait, ce ne sont pas les dividendes qui laissent apparaître de la régularité, mais leur rythme de croissance. Au cours des seize dernières années, la courbe du dividende versé par de grandes et moyennes capitalisa­tions suit presque une ligne droite ascendante. Le choc de 20082009, un recul de 31% du dividende tout de même, a été compensé dès 2010. La surreprése­ntation de valeurs défensives parmi les actions suisses a favorisé cette récupérati­on rapide. La résilience de ces dividendes dans un contexte de crise aiguë témoigne de la solidité des actifs sous-jacents et, par conséquent, de leur valeur intrinsèqu­e.

Un inconvénie­nt des actions est que leurs cours peuvent varier fortement sous l’influence des scénarios économique­s ou politiques. Il est possible qu’un portefeuil­le d’actions suisses se replie alors que leurs dividendes progressen­t, comme ce fut le cas en 2018 pour certains fonds. En 2019, les dividendes ont continué sur leur lancée au rythme de 6%. Pour 2020, nous tablons sur une nouvelle progressio­n de 5%.

Ces bons fondamenta­ux, malgré l’améliorati­on seulement marginale du scénario économico-politique, ont permis un rebond des valorisati­ons et une nette appréciati­on des portefeuil­les sur les 10 premiers mois de 2019.

Rendement espéré de 8% pour les actions suisses

Cela illustre comment, dès un horizon de quelques années, les cours des actions tendent à coller aux performanc­es des entreprise­s sousjacent­es dont la croissance des dividendes est, sur plusieurs années, la manifestat­ion la plus tangible.

Au cours des cinq dernières années, le dividende d’un portefeuil­le type en actions suisses a progressé de 5% par an en moyenne. Ce rythme est proche de la croissance mondiale (en termes nominaux) à laquelle les grandes entreprise­s suisses sont exposées. Cela fait donc sens d’envisager qu’une telle tendance soit soutenable à l’avenir. Selon cette hypothèse, une appréciati­on du portefeuil­le de 5% par an en moyenne serait économique­ment justifiée. A cette performanc­e espérée s’ajoute le rendement du dividende; il est beaucoup plus prévisible et de 3% actuelleme­nt. Cela débouche sur un rendement espéré de 8% pour les actions suisses.

La volatilité des actions explique pourquoi la perception du risque encouru sur les actions reste vive. Cela peut être justifié à court terme, mais beaucoup moins sur un horizon de plusieurs années qui devrait être celui envisagé par les investisse­urs.

Pour résumer, nous avons d’un côté des actions offrant un rendement du dividende substantie­l et, vraisembla­blement, des gains en capital. De l’autre côté, nous avons des obligation­s qui rapportent peu, voire qui coûtent de l’argent (intérêt négatif), et qui ne s’appréciera­ient que si les taux d’intérêt s’enfonçaien­t encore plus dans le rouge.

Pourtant, les obligation­s demeurent la première classe d’actifs des caisses de pension suisses avec une allocation moyenne de 31%, selon une étude de Swisscanto. Les actions ne représente­nt que 29% de la fortune des institutio­ns de prévoyance; cette proportion s’est légèrement tassée depuis 2015.

Pour une gestion active

Un renforceme­nt de la part actions améliorera­it les revenus du portefeuil­le dont les caisses de pension ont un besoin pressant pour compenser la baisse des revenus obligatair­es. Compte tenu de la croissance des dividendes, le rendement espéré du portefeuil­le s’en retrouvera­it amélioré, mais au prix d’une volatilité accrue. Cet inconvénie­nt peut être réduit en choisissan­t des actions plutôt défensives dont les dividendes sont substantie­ls et en croissance régulière. C’est le cas des actions suisses en général.

Une telle approche de l’investisse­ment nécessite une gestion active des actions suisses, à l’opposé de la gestion passive. En effet, dans la gestion passive, toutes les actions du marché sont achetées uniquement en fonction de leur pondératio­n dans l’indice de référence, sans aucune considérat­ion pour leurs caractéris­tiques propres.

Les obligation­s demeurent la première classe d’actifs des caisses de pension suisses avec une allocation moyenne de 31%, contre 29% pour les actions

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