L’économie carbure aux on-dit et aux «fake news», pas aux chiffres
Si vous pensez que la science économique repose sur l’analyse de chiffres, de statistiques, la mise au point de théories pointues, détrompez-vous. Au-delà des chiffres, les on-dit, la philosophie bricolée et les fake news sont ce qui motive véritablement les décisions des agents économiques. Et la recherche devrait prendre en compte ces données d’un nouveau genre, défend très sérieusement Robert Shiller dans son dernier livre, Narrative Economics: How Stories Go Viral and Drive Major Economic Events.
Robert Shiller n’a rien d’un économiste de comptoir. Prix Nobel d’économie 2013 pour avoir démontré que les marchés se trompent en permanence, l’Américain enseigne à l’Université de Yale. Le point de départ de sa réflexion est l’incapacité chronique des économistes à effectuer des prévisions qui tiennent la route. Sur les 469 récessions observées dans le monde ces trente dernières années, les pontes du Fonds monétaire international en ont prévu… quatre, selon Bloomberg.
Shiller lui-même affiche un track record nettement meilleur, puisqu’il a vu venir l’éclatement de la bulle internet et la grande récession de 2008-2009 (il voit une bulle sur les actions, depuis 2015). Pour lui, les échecs de ces confrères s’expliquent par le fait qu’ils n’ont pas écouté les histoires qui se racontent dans les foyers et dans les salles de marché.
Dans une réflexion qui remonte à 2018, l’économiste recommande rien de moins que de développer une nouvelle dimension des sciences économiques, ce qu’il appelle narrative economics. A savoir étudier la façon dont se répandent des histoires populaires, ces sortes «d’épidémies» qui interpellent les êtres humains et qui fluctuent dans le temps, car elles expliqueraient les fluctuations économiques.
Prendre ces histoires au sérieux
Il s’agit d’histoires virales qui émergent, puis sont remplacées par des thèses opposées, auxquelles succèdent les versions originales, revues et corrigées par l’air du temps. Le livre analyse une foule d’exemples: comment une population passe d’un état de confiance à celui de panique; d’abord vues comme des tueuses d’emplois, les machines sont devenues des pourvoyeuses de postes de travail; les cycles d’expansion puis de krach des marchés financiers ou de l’immobilier.
Toutes ces croyances façonnent les comportements des agents économiques, qui ne sont pas totalement rationnels et ne font pas systématiquement les bons choix, relève Robert Shiller, à contre-pied des écoles de pensée dominantes. En écoutant des groupes d’individus et en utilisant de nouveaux outils comme l’analyse textuelle des médias sociaux, les économistes doivent pouvoir rigoureusement mesurer ces histoires, assure-t-il. A prendre ces histoires au sérieux, cela leur fournirait de nouveaux éléments à inclure dans leurs propres histoires, celles qu’ils racontent déjà.n