Nouveau départ pour le genevois SwissMarine
L’opérateur de vraquiers, dont les liens secrets avec Glencore avaient été révélés par les Paradise Papers, a subtilement changé d’actionnaires. Mais les tensions persistent
Les habitués de la route de Florissant et de celle des Contamines, à Genève, connaissent la pancarte «SwissMarine» qui jouxte le carrefour. L’entreprise, qui n’a rien à voir avec la marine helvétique, était méconnue du grand public avant la fin de 2017, quand les Paradise Papers ont révélé qu’elle appartenait largement à Glencore, le géant des matières premières établi à Zoug.
Le groupe a refait parler de lui la semaine dernière, cette fois au Texas. Le 22 novembre, SwissMarine a porté plainte auprès d’un tribunal de cet Etat contre Xcoal Energy & Resources, un de ses clients américains spécialisé dans le négoce et l’extraction de charbon (qui possède un bureau à Zoug), a appris Le Temps.
Flotte de 150 navires
L’entreprise de Florissant estime que Xcoal, à qui elle loue régulièrement des bateaux, lui doit 1,63 million de dollars suite à des factures non payées portant sur sept de ses vraquiers. Glencore est mentionné dans la plainte. SwissMarine estime en effet que Xcoal aurait des actifs dans la juridiction du tribunal texan qui seraient notamment entre les mains de la multinationale zougoise.
SwissMarine est un opérateur de géants des mers capables de transporter jusqu’à 208000 tonnes de charbon ou de minerais de fer, qu’il met à la disposition d’affréteurs, de miniers ou de spécialistes en logistique, comme Xcoal, Vitol, Rio Tinto, BHP ou Vale. La flotte de 150 navires qu’il supervise – SwissMarine n’en possède aucun – vogue surtout entre l’Australie et le Brésil, les principaux pays producteurs de charbon et de fer, et la Chine, qui importe le gros de ces denrées. Les noms de bâtiments trahissent l’influence du genevois: Contamines, Corsier, Puplinge, Céligny ou encore Pinchat.
L’entreprise, qui emploie une cinquantaine de personnes dont 20 à Genève, représente 6% des «capesizes» actuellement en circulation à travers le globe. On appelle «capesizes» les navires qui étaient trop gros pour emprunter le canal de Suez avant qu’il ne soit élargi en 1980, et qui devaient donc passer par le cap de Bonne-Espérance.
De Verbier à Singapour
L’actualité est chargée pour SwissMarine depuis le mois de novembre 2017, date de la publication par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) des «Paradise Papers», des millions de documents confidentiels ayant fuité d’un cabinet d’avocats aux Bermudes. L’ICIJ a révélé que Glencore possède 47,09% des parts de SwissMarine par le biais d’une filiale à Fribourg, Sidhalu SA. Des liens qui devaient rester cachés, selon un document publié. Le consortium de journalistes estime que le géant zougois, coté en Bourse, aurait dû les rendre publics tant ils sont importants: le chiffre d’affaires annuel de SwissMarine tourne en général autour de 1,5 milliard de dollars. Les «leaks» n’ont pas eu d’incidence sur les résultats de SwissMarine, qui a réalisé en 2018 un exercice prolifique (aucun chiffre n’est communiqué).
Son fondateur et directeur, Peter Weernink, a tout de même quitté l’entreprise six mois après leur publication. Ce serait une coïncidence, selon une source qui indique que ses relations avec Glencore, le principal actionnaire de l’entreprise depuis sa création en 2001, se seraient simplement détériorées. Toujours est-il que le Hollandais réapparaît en avril 2019 à Verbier, d’où il crée Singapore Marine Pte Ltd. avec d’autres anciens de SwissMarine et avec le soutien de nouveaux partenaires, dont Golden Ocean. La compagnie de shipping norvégienne (mais qui siège aux Bermudes) devient son deuxième principal actionnaire, derrière Peter Weernink lui-même. Parmi les autres investisseurs figurent les armateurs grecs de la famille Martinos (qui ont déboursé cet été 62,5 millions de francs dans un immeuble dans le canton, a révélé la Tribune de Genève) et Angus Paul, un ex-cadre de chez Glencore. Singapore Marine possède un bureau dans les Alpes valaisannes et à Genève, mais elle siège à Singapour.
Le 16 septembre, la nouvelle entreprise et ses nouveaux actionnaires ont annoncé le rachat de SwissMarine, dont ils détiennent désormais la totalité du capital, soulignent-ils dans un communiqué. Une opération qui doit stimuler la croissance du groupe, notamment grâce à une excellente complémentarité entre les fuseaux horaires de la Suisse et ceux de la cité-Etat asiatique. Et qui sonne comme un nouveau départ, sans Glencore.
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