De William Rappard à Philippe Burrin, une ambition genevoise aux dimensions de la planète
C’est dans le sillage de l’implantation de la Société des Nations à Genève qu’a vu le jour l’Institut de hautes études internationales. De refuge pour intellectuels pourchassés par l’Italie fasciste ou l’Allemagne nazie à centre d’étude de la guerre froide, l’IHEID est aujourd’hui un acteur majeur de la Genève internationale
On serait presque tenté de le formuler sous forme de boutade. Sans l’implantation de la Société des Nations à Genève à partir de 1920, l’Institut universitaire de hautes études internationales n’aurait sans doute pas vu le jour, sept ans plus tard. La création de ce dernier a été portée par la même inspiration que la SdN: «Eviter une nouvelle catastrophe [une guerre mondiale] en rendant la diplomatie plus transparente et en formant mieux les citoyens aux questions internationales.» Elle a aussi été portée par un homme en particulier, William Rappard.
Le rôle de William Rappard
Ce diplomate né à New York, doté de la double nationalité suisse et américaine, fit partie de la délégation suisse à la Conférence de paix de Paris. Alors que la SdN aurait aussi pu s’installer à Bruxelles, il joua un rôle influent auprès de Woodrow Wilson, dont il était proche. Le président américain a lui-même joué un rôle moteur pour la création de la SdN, qui s’établira finalement à Genève.
Devenue la «capitale des affaires internationales» grâce à la SdN, à l’Organisation internationale du travail, créée en 1919, et au CICR (1863), Genève avait besoin d’un centre de formation, notamment pour les diplomates et fonctionnaires internationaux de la SdN, qui représentaient plus de 1000 personnes. Ce d’autant plus que la SdN n’avait ni les ressources, ni la neutralité nécessaire pour exercer ce type de mandat en raison du risque d’une influence prépondérante des grandes puissances sur le cursus, explique Norman Scott, un ancien professeur de l’institut.
Paul Mantoux, premier directeur
L’idée de créer un tel établissement germa donc très tôt, dès 1921, et impliqua des membres du secrétariat de la SdN et l’Université de Genève. En ce sens, William Rappard a été une personne clé pour établir des ponts entre la SdN et l’institut. De 1920 à 1924, il fut directeur de la Section des mandats de la SdN. Longtemps recteur de l’Université de Genève, il dirigea aussi l’institut à deux reprises.
Le premier directeur de l’institut sera Paul Mantoux. Professeur
spécialiste de l’histoire économique et référence internationale pour ses travaux sur la révolution industrielle en Angleterre, ce natif de Paris joua le rôle d’interprète au sein du Conseil des Quatre lors de la préparation du Traité de Versailles. Comme William Rappard, il a vécu de l’intérieur l’expérience de la SdN en officiant en qualité de directeur de la Section politique du secrétariat de l’organisation. Avec William Rappard, il constituait, à en croire Norman Scott, la «dream team» qui allait favoriser l’émergence de l’institut. A l’inauguration, en novembre 1927, William Rappard exprimera l’espoir que «l’institut contribuera à réduire la méfiance et l’influence de préjudices séculaires et s’attellera à rendre le monde empreint de davantage de justice, de vérité et de lumière».
Premier institut au monde à se consacrer aux relations internationales, l’établissement est d’emblée reconnu comme une institution à vocation universitaire et dotée d’une vraie indépendance par son statut de fondation de droit privé. Mais il est toujours lié à l’université, laquelle délivre les doctorats. Au cours des dix premières années de son existence, il ne compte qu’une centaine d’étudiants. Son bilinguisme anglais-français en fait sa spécificité, de même que son approche pluridisciplinaire. Dès sa création, l’institut veut avoir la distance de l’académie, mais le caractère pratique d’un organisme ancré dans la réalité des politiques étatiques. Le professorat comprend des professeurs permanents et des cadres de la SdN et du BIT. Il fut envisagé d’installer l’institut au Palais Eynard, siège actuel des autorités de la ville de Genève. Mais il s’établira finalement pour ses débuts dans l’immeuble Plantamour, près de la Vieille-Ville, jusqu’en 1937. A cette date, il aura le privilège de pouvoir aménager au bord du lac dans la villa Lammermoor, propriété de Victoria-Alexandrina Barton. Cette dernière, membre de la haute société britannique qui organisait des salons diplomatiques à l’époque de la SdN, cédera la propriété à la Confédération. La villa Barton deviendra l’édifice emblématique de l’institut, à deux pas de l’OMC.
«Redevable à Mussolini et à Hitler…»
Les années 1930 seront marquées par une lente marginalisation de la SdN. Norman Scott le souligne avec une pointe d’ironie. «Les deux hommes envers qui l’institut est redevable d’une brochette aussi qualitative de profes