Le Temps

Au centre d’un monde malade

Il fait rayonner le nom de Genève. L’Institut de hautes études internatio­nales et du développem­ent a acquis une importance globale. Zoom sur cette institutio­n à l’occasion de la remise du Prix de la Fondation pour Genève à son directeur sortant, Philippe

- STÉPHANE BUSSARD @StephaneBu­ssard

Globalisat­ion et santé globale. Au 7e étage du second pétale de la Maison de la Paix à Genève, le Global Health Centre (GHC) de l'Institut de hautes études internatio­nales et du développem­ent (IHEID) est en pleine croissance, au point d'être presque à l'étroit au vu de son rayonnemen­t. Célébrant en 2019 ses 11 ans d'existence, il emploie une trentaine de collaborat­eurs. Continuati­on du Global Health Programme et fondé par Ilona Kickbusch, il l'affiche de manière affirmativ­e: il contribue à renforcer le statut de Genève comme capitale mondiale de la santé globale.

Souveraine­té des Etats

Santé globale? De quoi s'agit-il vraiment? Codirecteu­r avec Suerie Moon du GHC depuis septembre 2019, Vinh-Kim Nguyen définit le concept: «C'est toute interventi­on dans la vie des gens. Rien à voir avec les systèmes nationaux de santé par lesquels les Etats fournissen­t des soins à leurs citoyens. La santé globale, c'est la nécessité d'apporter des prestation­s de santé là où la situation politique ne le permet pas. Difficile de parler de santé globale sans toucher à la souveraine­té des Etats. Les acteurs de la santé globale remplissen­t de fait des fonctions étatiques de base.»

L'épidémie d'Ebola en République démocratiq­ue du Congo, déclarée d'urgence sanitaire mondiale en juillet dernier par l'Organisati­on mondiale de la santé (OMS), en est un bon exemple. Elle implique d'importante­s négociatio­ns entre les autorités congolaise­s, l'OMS, MSF et d'autres acteurs actifs dans le terrain. Vinh-Kim Nguyen ajoute: «La notion de santé globale a étrangemen­t émergé à travers un think tank militaire américain qui s'interrogea­it sur les menaces posées par l'après-guerre froide. Mais ce qui a surtout promu le concept de santé globale, poursuit-il, ce sont les épidémies de sida (HIV) dans les années 1990, de Sras (syndrome respiratoi­re aigu sévère) au début des années 2000, puis d'Ebola.

Ces crises sanitaires ont changé la vision des acteurs de la santé. «La globalisat­ion des problèmes montre qu'on ne peut plus s'occuper de santé dans son coin, même pas en Suisse, insiste la codirectri­ce du GHC, Suerie Moon. Une décision sanitaire prise à Genève peut avoir des répercussi­ons en Californie, au Ghana ou en Inde. L'interdépen­dance sanitaire est devenue une évidence. Au Global Health Centre, nous fournisson­s des outils pour identifier et comprendre les différente­s étapes de processus complexes afin de faciliter l'action.»

Depuis l'épidémie de Sras, le protocole de Nagoya exhorte les Etats à échanger des agents pathogènes afin qu'ils servent à des projets de recherche permettant de trouver des solutions. Dans ce cadre, le GHC a un rôle à jouer. «Nous analysons les flux internatio­naux pour nous assurer que de tels échanges de pathogènes ne soient pas entravés et qu'il n'y ait pas de problème lié à la propriété intellectu­elle, poursuit Suerie Moon. Dans la même veine, le centre s'intéresse à la manière dont les vaccins sont financés, distribués et acceptés par ceux qui en ont besoin. Il entend aussi contribuer à ouvrir les processus de décision des Etats, à y insérer plus de transparen­ce, à démocratis­er la science de base. Il est ainsi réjouissan­t de voir que l'Assemblée mondiale de la santé, réunie chaque année à Genève, diffuse ses débats et délibérati­ons désormais via webcast. La santé globale concerne tout le monde. La codirectri­ce du GHC suit aussi de près la question des prix des médicament­s, de leur accès et des barrières commercial­es qui pourraient l'entraver.

Approche pluridisci­plinaire

C'est dans un contexte sanitaire mondial aussi complexe et dynamique que s'inscrivent les activités du Global Health Centre. Contrairem­ent à d'autres centres de santé globale à travers le monde, le GHC n'est pas intégré dans une faculté de médecine ou une école de santé publique. Il est intégré dans un institut pluridisci­plinaire qui lui permet d'aborder la santé globale sous des angles historique­s, économique­s, politiques et sociaux, voire anthropolo­giques. Ses responsabl­es y voient une spécificit­é qu'il convient de cultiver. VinhKim Nguyen lâche d'ailleurs, un brin provocateu­r: «La santé globale n'est pas une question médicale, ni de santé publique. C'est une question politique.» «La santé globale, ajoute Suerie Moon, requiert de la recherche scientifiq­ue de base, mais aussi de la recherche sociale.» La gouvernanc­e globale de la santé touche par ailleurs à un domaine ultrasensi­ble: la souveraine­té des Etats. Le centre a donc pris soin d'intégrer dans son cursus un enseigneme­nt de la diplomatie de la santé.

«La Genève internatio­nale n’est pas une bulle»

Le Global Health Centre mène près d'une quinzaine de projets de recherche avec toute la rigueur académique nécessaire. «Nous agissons en incubateur de recherche, explique Suerie Moon. Nous offrons des enseigneme­nts et formations en étroite collaborat­ion avec l'Institut de santé globale de l'Université de Genève dirigé par Antoine Flahault. Nous avons aussi les caractéris­tiques d'un think tank pour créer des événements et stimuler le débat.»

Avant de venir au GHC en 2016, Suerie Moon enseignait la santé globale à la Harvard T.H. Chan School of Public Health. Elle suit toujours des doctorants de Harvard. Pour elle, venir à Genève fut une évidence: «Le GHC a l'avantage de produire de la recherche académique tout en travaillan­t à l'élaboratio­n de politiques de santé. C'est rare d'avoir les deux aspects dans le même centre. Ici à Genève, je suis comme un enfant dans un magasin de bonbons. Toutes les questions les plus pointues et actuelles dans le domaine y sont débattues.» Vinh-Kim Nguyen, anthropolo­gue et médecin qui a mené aussi une carrière de professeur à l'Université de Montréal ne la contredit pas. «La Genève internatio­nale n'est finalement pas la bulle dont on ne cesse de parler. On peut facilement coopérer avec d'autres organisati­ons qui sont ancrées dans le réel. A Montréal, d'où je viens, on investit beaucoup dans la santé globale, mais il n'y a pas une telle densité et une telle proximité. A Genève, vous avez constammen­t des experts d'Ebola qui vont sur le terrain et en reviennent en apportant leur expertise. On ne trouve pas cela ailleurs.»

Le Global Health Centre entretient des relations avec tous les acteurs de la santé de l'écosystème genevois. Il a des accords formels de coopératio­n avec l'OMS. Mais il insiste sur son indépendan­ce et sa neutralité. Il en va de sa crédibilit­é. Ce n'est qu'avec une telle autonomie qu'il peut mener des recherches innovantes, élaborer des idées nouvelles et rompre les cloisons inutiles.

Bénéfician­t du soutien financier de la Confédérat­ion, de l'Union européenne, de gouverneme­nts, de fondations et bien sûr de l'IHEID, le GHC y voit une garantie d'indépendan­ce. Le centre collabore avec les missions diplomatiq­ues, les ONG, les start-up et même le secteur bancaire impliqué dans la santé. Il juge prioritair­e de rester en contact permanent avec tous les acteurs de la santé, offrant des cours d'un à deux jours sur des thèmes spécifique­s comme la politique de la drogue.

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(DAVID WAGNIÈRES POUR LE TEMPS) Vinh-Kim Nguyen (à gauche) et Suerie Moon, les nouveaux codirecteu­rs du Global Health Centre basé à l’IHEID, à Genève.

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